Le sous-fonds d’archives V CI, Collections iconographiques, comprend environ 330 pièces, dont la plupart sont des versions originales, couvrant principalement la période de 1845 à 1997 et représentant des centaines d’images à valeur historique, dont une majorité en grand format, relatives au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Il permet de retracer, à travers un corpus d’articles relativement réduit et circonscrit, l’évolution des activités, des outils et des relations de l’institution depuis sa création (1863), d’exposer sur environ 150 ans des œuvres illustrant ses multiples actions et sa valeur symbolique ou des thématiques liées à ses missions. De plus, il contribue à compléter, par des documents visuels, les séries papier provenant d’autres sous-fonds. Une récente opération de description a permis de consolider et de clarifier le contenu de l’inventaire, d’approfondir la présentation des pièces, d’introduire de nouveaux documents et de reconditionner physiquement l’ensemble au moyen de matériels adaptés. Le but de cet article consiste à illustrer le contenu de la collection, ainsi que les démarches de sa mise en valeur.

Constitution de la collection

L’origine de la constitution de cette collection reste floue. Il apparaît toutefois que les documents ont été assemblés, au fur et à mesure de leur réception, dès le XIXe siècle. Probablement acquises par la Présidence du CICR, quelques-unes de ces archives iconographiques étaient utilisées comme éléments décoratifs (durant l’entre-deux-guerres, une partie des pièces a été exposée dans la Villa Moynier[1]). Toutefois, pour la plupart des pièces de l’inventaire V CI, nous n’avons pas trouvé d’informations mentionnant leur existence, expliquant leur provenance, décrivant leur utilisation ou signalant leur lieu de conservation. Ce n’est qu’en 1986 qu’un inventaire de documents iconographiques (notamment de photographies et d’albums photographiques) conservés dans des armoires dans les locaux des Archives du CICR est établi. De nombreuses pièces du sous-fonds sont alors répertoriées dans cette première liste qui n’a malheureusement pas été accompagnée d’une fiche descriptive ou d’éléments de contextualisation.

En 1998, un inventaire détaillé est enfin initié et certains documents font l’objet d’un reconditionnement. Cependant, ce travail n’a pas abouti et environ une quarantaine de pièces n’ont pas été intégrées à l’inventaire. Ce n’est que récemment que la description et le traitement de ce sous-fonds ont été relancé pour que la collection puisse être intégralement inventoriée et reconditionnée dans le respect des normes d’archivage en vigueur.

Méthode d’archivage

Le premier élément indispensable à toute description consiste à se renseigner sur la constitution de la collection ou du groupe d’archives étudié, puis sur son histoire et sa structure. Une bonne compréhension du contexte institutionnel permet de mieux appréhender le contenu d’un fonds d’archives. Dans le cas présent, un historique existant a été mis à jour.

Cela a permis de rapidement passer à la deuxième étape consistant à comparer l’inventaire commencé en 1998 avec les pièces rangées dans les boîtes. L’idée a d’abord été d’identifier et de vérifier que tous les documents étaient présents, puis de contrôler que les descriptions correspondaient. Il s’agissait en parallèle d’y intégrer le reliquat de documents pas encore traités. Cette phase de récolement a également été l’occasion d’étudier la structure du fonds, l’état des pièces et les méthodes de stockage. Enfin, elle a aussi été mise à profit pour rechercher des liens entre ces objets et d’autres fonds du CICR, voire d’autres institutions patrimoniales genevoises conservant des images de ce type. En pratique, les pièces ont été consultées les unes après les autres. Dans ce cas, il a d’abord fallu y inscrire la cote (identifiant unique) afin de relier chaque document à l’inventaire. Ensuite, il a été introduit dans un fichier Excel, pour chaque objet, sa cote, sa description, sa datation, son type de document (photographie, diplôme, album, etc.), des mots-clés quant au sujet traité, son type de version (original/copie), son format (A4, A3, etc.) et son état de conservation. Une dernière colonne du fichier était consacrée à l’inscription des sources complémentaires identifiées lors des recherches dans différentes bases de données.

Sur la base des informations collectées précédemment, la troisième étape avait pour vocation de dresser des recommandations de traitement du fonds. Dans cette situation, trois grandes améliorations ont été proposées et acceptées. La première a été de changer la structure de classement. En effet, les 330 pièces se succédaient à la manière d’une simple liste séquentielle, ce qui rendait leur repérage compliqué. Comme, en plus, le fonds a été artificiellement constitué dès l’origine, c’est-à-dire sans logique d’organisation, il n’y avait donc aucun problème à modifier l’ordre pour autant que l’ancienne cote soit conservée à titre indicatif. La deuxième retouche a été de standardiser les notices, de détailler les intitulés et la présentation du contenu, ainsi que d’insérer les sources complémentaires et des copies conservées par d’autres institutions genevoises. Dans le même sens, mais à un autre niveau, il était aussi nécessaire de planifier la mise à jour de la description du contexte, du contenu et de la structure du fonds. Le troisième changement a été de remplacer le matériel de stockage peu adapté par des boîtes et des chemises ajustées à la taille des pièces.

La quatrième phase avait pour but d’appliquer les deux premières recommandations. Ainsi, il a d’abord fallu changer l’ordre de classement dans l’inventaire tout en complétant les notices. Grâce à une vision d’ensemble plus exhaustive, il a été possible d’actualiser la description du contexte, du contenu et de la structure du fonds.

La cinquième et dernière étape correspond à la troisième recommandation, soit reclasser physiquement et renuméroter les pièces selon le nouvel ordre d’organisation. À ce stade sont intervenues les deux opérations de reconditionnement. D’un côté, il a fallu remplacer, lorsque c’était réalisable, les trombones en fer et autres supports plastiques par un palliatif en plastique ou en papier non-acide. Dans certains cas, des photographies ont même été recollées, car elles se détachaient de leur album. D’un autre côté, les documents ont été rangés dans de nouvelles chemises et boîtes non-acides adaptées à leur taille. Une fois que le fonds a été reconditionné, il s’agissait de l’entreposer dans un emplacement adéquat et d’apposer sur les boîtes les étiquettes indiquant leur contenu.

Contenu et organisation de la collection

La collection contient des documents visuels principalement en grand format (environ A4 à A1) soit des photographies, des albums photographiques, des lithographies, des gravures, des photogravures, des affiches, des dessins, des diplômes d’honneur ou de reconnaissance, des prix, des lettres et dessins de remerciement, des publications d’art, des plans, des coupures de presse, des timbres et des cartes postales.

Au niveau de sa structure, la collection a été organisée selon 10 thématiques. Elle rassemble d’abord des photographies et des lithographies relatives aux membres du Comité, aux différentes signatures de la Convention de Genève (1864, 1906, 1929 et 1949) et à l’organisation des Conférences internationales de la Croix-Rouge. La quatrième série réunit les albums photographiques, les dessins et les lettres de remerciement reçus par le CICR dans le cadre de ses actions sur le terrain. S’ensuit des diplômes octroyés au CICR et à ses présidents par des organismes publics ou privés. Les relations du CICR avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et ses collaborateurs sont illustrées par des lithographies, des albums photographiques, des diplômes et des photographies de médailles. Puis, sont assemblées les œuvres d’art (lithographies, gravures, dessins, peintures, cartes postales, publications d’art) relatives au CICR et à ses actions. En complément, la série suivante retrace l’évolution du matériel sanitaire notamment employé par l’institution. Enfin, quelques photographies de Genève au XIXe siècle décrivent la ville où siège le CICR.

Quelques pièces d’intérêt …

Une description détaillée et adéquate des pièces est extrêmement importante, car elle permet d’améliorer la recherche d’information et donc l’identification de sources. Dans ce cas, grâce une investigation plus fine, il a été possible de redécouvrir certains documents et par conséquent de rétablir leur juste valeur.

… un triptyque de dessins[2] de Kobayashi Kiyochika représentant la visite de l’Impératrice Shôken à l’hôpital militaire d’Hiroshima, pendant la guerre sino-japonaise de 1894-1895[3]

Ce triptyque, daté de 1895, relate la visite de l’Impératrice Shôken[4] à l’hôpital militaire d’Hiroshima pendant le conflit avec la Chine. L’impératrice rejoint son époux à Hiroshima en mars 1895 après que celui-ci ait déplacé son quartier général militaire de Tokyo à Hiroshima pour être plus près des lignes de communication avec ses troupes. Pendant son séjour dans la ville, l’Impératrice Shôken visite les hôpitaux où les soldats blessés sont soignés.

Ce triptyque est l’œuvre de l’artiste japonais Kobayashi Kiyochika (10 septembre 1847, Honjo – 28 novembre 1915, Tokyo-fu), artiste de style ukiyo-e durant l’ère Meiji. Kiyochika est surtout connu pour ses dessins de scènes des environs de Tokyo qui reflètent la transformation due à la modernisation du pays et pour ses estampes sur bois principalement imprimées de 1876 à 1881. Toutefois, il crée aussi des illustrations et des esquisses pour les journaux, les magazines et les livres, et produit également un certain nombre d’estampes représentant des scènes de la guerre sino-japonaise (1894-1895) et de la guerre russo-japonaise (1904-1905).

Le CICR n’a pas entrepris de missions ou mené d’actions humanitaires depuis Genève pendant le conflit sino-japonais de 1894-1895. Nous ne savons donc pas comment ce dessin nous est parvenu. Il nous a peut-être été offert lors d’une rencontre officielle entre un membre du CICR et un représentant de la Société de la Croix-Rouge du Japon entre 1895 et 1912, date de la création du Fonds Impératrice Shôken[5].

… un album photographique[6] présentant le camp de prisonniers de Ras-el-Tin (Alexandrie, Egypte), 1ère guerre mondiale

Il s’agit des photographies du camp de prisonniers de Ras-el-Tin, probablement prises fin 1916.

Ce camp de prisonniers, sous administration militaire britannique, est visité le 5 janvier 1917 par les délégués du CICR dans le cadre de « leurs voyages en France, en Corse, en Egypte et aux Indes »[7]. Ce voyage, initié en novembre 1916, avait pour objectif de visiter les prisonniers de guerre ottomans internés dans ces pays. Ras-el-Tin est situé à 5 km d’Alexandrie. Ce camp d’internement comptait 69 civils ottomans et 400 internés austro-allemands qui se trouvaient en Egypte au moment de la déclaration de guerre et qui ne pouvaient pas rejoindre leur patrie.

Theodor Kofler (27 juillet 1877, Innsbruck – octobre 1957, Bukoba), photographe autrichien est l’auteur de ces photographies. Il s’installe en Egypte au début des années 1900 où il commence une collaboration avec deux photographes avant d’acheter en 1908 un studio photographique nommé “Cairo Studio”. En 1914, il prend les premières photographies connues des Pyramides de Gizeh depuis un avion. Le 2 août 1914, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Autriche et le gouvernement colonial britannique déporte les Autrichiens soumis à la conscription dans la région d’Alexandrie ou à Malte. Théodor Kofler est envoyé dans cette île où il devient le photographe des prisonniers avant d’être libéré et renvoyé en Egypte en avril 1916.

… une photographie sur carton[8] représentant le portrait de Max Huber à son bureau, probablement en 1944

Max Huber (28 décembre 1874, Zurich – 1er janvier 1960, Zurich) étudie le droit et obtient son doctorat à l’Université de Berlin avant d’être nommé professeur de droit constitutionnel, ecclésiastique et international public à l’Université de Zurich. Il est ensuite engagé en tant que conseiller juridique du Conseil fédéral où il joue un grand rôle dans l’élaboration de la doctrine de neutralité lors de l’adhésion de la Suisse à la Société des Nations en 1920. Par la suite, de 1925 à 1927, il préside la Cour permanente de justice internationale de La Haye, où il siège de 1922 à 1932. Membre du CICR, il succède à Gustave Ador et préside l’institution de 1928 à 1944. Il prend une part décisive dans l’organisation du CICR (adoption des Statuts de la Croix-Rouge internationale de 1928 par exemple) et contribue à l’évolution du droit international humanitaire.

Ce cliché a été réalisé par Charles-Gustave Georges (janvier 1887, Genève – 23 septembre 1965, Genève), photographe portraitiste genevois réputé qui a pratiqué pendant plus de 50 ans la photographie d’art.

… album photographique[9] présentant les activités du Front de libération de l’Erythrée en décembre 1970

Un détachement du Front de libération de l’Erythrée

Le Front de libération de l’Érythrée est le principal mouvement indépendantiste érythréen en Ethiopie au cours des années 1960 et 1970. Il est fondé au Caire en juillet 1960 par Idris Muhammad Adam et d’autres intellectuels ainsi que par des étudiants érythréens. Il est partie prenante de la guerre d’indépendance de 1961 à 1991.

Cet album est remis par Saleh Ahmed Ayaï, délégué de l’Etat-major du Front, à Jean-Pierre Maunoir, délégué du CICR, lors d’une rencontre à Damas en février 1971 au cours de laquelle la situation en Erythrée est au centre des discussions. La série de photographies présentées illustre le combat du Front de libération de l’Érythrée. Elle est le fruit du travail d’Ahmad Abou Saada, photographe et producteur de télévision syrien, désigné par le Ministère de l’information en Syrie pour se rendre en Erythrée fin 1970.[10] Ce dernier a pu suivre comme reporter le Front de libération de l’Erythrée pendant plusieurs semaines.

Révolutionnaires partageant un repas avec un enfant paysan


[1] La Villa Moynier fut le siège du CICR entre 1933 et 1946.

[2] A CICR V CI 08-022

[3] La première guerre sino-japonaise (1er août 1894 – 17 avril 1895) oppose la Chine à l’Empire du Japon à l’origine pour le contrôle de la Corée, vassale de la Chine. De violents combats se déroulent notamment sur mer. Après plusieurs défaites militaires, la Chine impériale de la dynastie Qing doit signer le traité de Simonoseki. Elle paie une importante indemnité de guerre en échange du retrait du Japon de la péninsule coréenne et s’engage à céder au Japon l’île de Formose (Taïwan), l’archipel des Pescadores (Penghu) et la presqu’île du Liaodong.

[4] L’impératrice Shôken (née le 9 mai 1849 à Kyoto et décédée le 9 avril 1914 à Numazu) est l’épouse consort de l’empereur Meiji du Japon. Ce dernier, né à Kyoto le 3 décembre 1852, est le 122e empereur du Japon du 3 février 1867 à sa mort le 30 juillet 1912. Son long règne de quarante-cinq ans est une période de profonds changements pour le pays au cours de laquelle l’Empire du Japon accède à la modernité et assoit sa position dominante en Extrême-Orient.

[5] Ce Fonds est créé lors de la IXe Conférence internationale de la Croix-Rouge à Washington à l’initiative de l’Impératrice Shôken pour encourager « les œuvres de secours en temps de paix ». Il est doté d’un capital de cent mille yens or. Ce Fonds initial est approvisionné à diverses reprises par de nouveaux dons de la famille impériale, du gouvernement, de la Croix-Rouge et du public japonais.

[6] A CICR V CI 04 01-001

[7] Revue internationale de la Croix-Rouge, n°191, juillet 1917, pp.254-256.

[8] A CICR V CI 01 06-004

[9] A CICR V CI 04 01-004

[10] A CICR B AG 200 072-002