Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une série d’attentats coordonnés frappe l’Algérie, alors territoire français. La revendication du mouvement insurrectionnel ayant perpétré les attaques, le Front de libération nationale (FLN), est claire : obtenir l’indépendance de l’Algérie, sous administration française depuis les années 1830. Cet épisode marquera le début d’une période d’affrontements entre les partisans de l’indépendance algérienne et ceux du maintien de la présence française en Algérie.

 

Durant la guerre d’Algérie, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) déploie dix missions de visite en détention entre 1955 et 1962, suivies d’une dernière mission spéciale en 1963 consacrée à la visite aux supplétifs de l’armée française emprisonnés et à la recherche d’Européens disparus.[1] Si la grande majorité des visites des lieux de détention s’effectuera en Algérie, certaines d’entre elles auront également lieu en métropole, ou encore au Maroc et en Tunisie où des nationalistes algériens sont emprisonnés. Ces visites suivent une procédure précise : à leur arrivée sur le territoire, les délégués entrent d’abord en contact avec les autorités civiles et militaires concernées, puis ils obtiennent les autorisations de visite de la part des préfectures régionales. Une fois la liste des camps dressée, les autorités françaises se chargent de convoyer les délégués en mettant à disposition des moyens de transport allant du véhicule terrestre à l’avion. Arrivés dans les camps, les délégués s’entretiennent avec le commandant, visitent les installations et effectuent leurs entretiens sans témoin avec les détenus de leur choix. Un délégué médecin est également présent et se charge de vérifier l’état de santé des détenus. Enfin, les visites se concluent par un rapport au commandant du camp, auquel les délégués présentent leurs conclusions et recommandations vis-à-vis de la gestion et de l’aménagement du camp.[2] Plusieurs de ces visites ont été documentées par des photographies qui illustrent les conditions d’internement des détenus. La présente contribution se propose donc de restituer les contextes de ces visites en découvrant, à travers la photographie, les différents camps visités par les délégués.

Le CICR dispose d’un fonds d’archives photographiques composés d’environ 400 photographies relatives à la période sur laquelle s’étend le conflit algérien, dont près de 300 se rapportent spécifiquement aux missions de détention du CICR. Sont comprises dans ce nombre plus d’une centaine de photographies qui, à défaut d’avoir été décrites lors de leur numérisation, n’ont jamais pu être publiées sur le portail des archives audiovisuelles du CICR. La présente contribution poursuit plusieurs objectifs. Tout d’abord, servir de point d’entrée dans la collection photographique relative aux dix missions de détention que l’institution humanitaire a menées en Algérie. Cette collection n’est pas uniforme car le CICR ne possède vraisemblablement pas de photographies pour toutes les missions, notamment la première, la neuvième et la dixième mission (des éléments de contexte sont néanmoins fournis dans les bandeaux déroulants ci-dessous). Ensuite, dans le but d’enrichir et de structurer cette collection, quelque 30 photographies jusqu’alors non décrites ont pu, grâce à un travail de recoupement, être rattachées aux différentes missions de détention et sont donc à présent consultables sur le portail des archives audiovisuelles du CICR. Enfin, le dernier objectif concerne l’enrichissement descriptif du fonds, qui se traduit dans cette publication par l’exposé du contexte de production des photographies en ayant recours à des extraits issus des rapports de visite rédigés par les délégués, conservés dans les archives générales publiques du CICR.


LISTE DES LIEUX DE DÉTENTION VISITÉS ET PHOTOGRAPHIÉS PAR LE CICR 

CH : Centre d’hébergement / CTT : Centre de triage et de transit / CMI : Centre militaire d’internés

 

Mission du CICR Dates Lieux de détention visités
Deuxième mission            22.04.1956

28.06.1956

CH de Berrouaghia, CH de Djorf
Troisième mission            15.10.1956

03.11.1956

CH de Berrouaghia, CH de Djorf
Quatrième mission            15.05.1957

06.07.1957

CH de Djorf, Maison d’arrêt de Mostaganem, CTT de Chanzy, CTT de Meffrouch
Cinquième mission            27.11.1957

28.02.1958

CTT de Bir el Ater, CTT de Barika, CTT d’El Ma el Abiod, CTT de Baudens, CTT de Lamoricière, CTT de Sainte-Barbe du Tlelat, CTT d’Aïn Frass, CH de Bossuet
Sixième mission            04.12.1958

23.12.1958

CMI de Ksar-Thir, CMI de Bône « Ferme des Anglais »
Septième mission            15.10.1959

27.11.1959

CTT de Kenadsa, CMI de Ksar-Thir, CH de Paul Cazelles
Huitième mission            25.01.1961

23.02.1961

CMI de Burdeau, CTT de la Ferme Chenu, CTT de Barika, CTT de Biskra, CTT d’Eugène Etienne, CTT de Saint-Denis-du-Sig

 


LES MISSIONS DU CICR A TRAVERS L’OEIL DE LA CAMERA

PREMIERE MISSION

⇒ AUCUNE PHOTOGRAPHIE ASSOCIÉE

 

La première mission du CICR s’effectue simultanément en Algérie et au Maroc, où sont emprisonnées des personnes arrêtées à la suite des « événements ». Les intentions de l’institution sont exposées clairement au gouvernement français :

 

« Le Comité international a exprimé en particulier le souhait de recevoir une liste des personnes arrêtées à la suite des événements, d’être autorisé à faire visiter les lieux d’internement ou de détention où se trouvent ces personnes, de pouvoir faciliter, si besoin était, l’échange de correspondance entre ces détenus et leurs familles, enfin d’étudier, sous la même réserve, l’opportunité d’une distribution de secours en leur faveur ou en faveur de leurs familles » A CICR, B AG 251 008-001

 

Cependant, la France n’est pas disposée à accepter l’ensemble de ces demandes ; tout au long de la mission, les délégués se heurtent à de nombreux refus, notamment en ce qui concerne les entretiens sans témoin. Face à la réticence des commandants des camps, ils doivent systématiquement déposer une demande auprès des magistrats instructeurs compétents. Cette procédure bureaucratique ralentit beaucoup la mission, fixée à un mois, et empêche les délégués d’avoir une vision approfondie des conditions de détention. Leurs constatations restent donc superficielles et sont émises avec réserve.
DEUXIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre d’hébergement de Berrouaghia

Localisation : Algerois
Visité le : 23 mai 1956
Délégués : Messieurs Pilloud, Gaillard et Willener
Effectif du camp : 545

 

« Le Centre est installé dans un bâtiment moderne (dont les aménagements intérieurs n’ont pas été terminés), construit par le service pénitentiaire. Situé dans l’enceinte même du pénitencier de Berrouaghia, il était destiné à devenir un sanatorium dans lequel auraient été hébergés tous les détenus tuberculeux des prisons d’Algérie. Cependant, faute de place ailleurs, ce bâtiment a été réquisitionné pour les besoins du Centre d’hébergement. […] Chaque hébergé dispose d’un lit de camp, d’un matelas de coton et de 2 couvertures (hiver 4) ; les lits, extrêmement serrés les uns contre les autres, sont disposés dans tout le bâtiment, y compris dans les couloirs et même les corridors. Cette situation qui, nous dit-on, doit s’améliorer, est actuellement insatisfaisante. » A CICR, BAG 251 008-002

Centre d’hébergement de Djorf

Localisation : Constantinois
Visité le : 05 juin 1956
Délégués : Messieurs Gaillard et Willener
Effectif du camp : 593

 

« Hormis la question de l’hygiène et du climat un peu rude (mais sans doute fort supportable pour des Algériens), notre impression sur le Centre de Djorf est plutôt bonne, meilleure que celle sur Berrouaghia. Les critiques parues parfois dans la presse à propos de Djorf ne nous paraissent pas vraiment fondées. Djorf a vraiment l’air d’un camp d’internement mais, au prix d’un certain nombre d’améliorations (hygiène, douches, mouches, amélioration des cuisines, bibliothèque, etc…) la situation pourrait y devenir satisfaisante. D’ores et déjà, les conditions de détention nous y paraissent tout à fait humaines. » A CICR, BAG 251 008-002

TROISIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre d’hébergement de Berrouaghia

Localisation : Algerois
Visité le : 19 octobre 1956
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 879

 

« L’habitat a été amélioré depuis la première visite des délégués par la construction de cinq nouvelles baraques. On a pu, à la suite de cette construction, diminuer le surpeuplement des anciens baraquements […]. Par contre, les douches sont nettement insuffisantes et le nombre des douchages est limité à une ou deux fois par mois. Il n’y avait également pas de possibilité de douchage à l’eau chaude. […] De nombreux hébergés nous ont également signalé des sévices subis au cours de leur arrestation et au cours d’interrogatoires dans les services de la PRG, de la PJ et de la DST. Nous avons examiné un bon nombre de ces hébergés et constaté des séquelles objectives de sévices sous forme de brûlures par cigarettes, de plaies cicatricielles par liens ou chaînes au niveau des poignets et des chevilles, de brûlures très superficielles à la suite d’application d’électrode pour courant électrique. » A CICR, B AG 251 008-004

Centre d’hébergement de Djorf

Localisation : Constantinois
Visité le : 31 octobre 1956
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 550

 

« Au cours de ces entretiens, les hébergés se sont plaints surtout de l’insuffisance de couvertures et de draps pour les malades, de l’absence de chauffage et de literie à l’infirmerie ; d’une monotonie de l’alimentation qui se réduit à une alternance de ragout et de couscous ; de l’absence du café au lait le matin. […] Une liste manuscrite m’a également été remise mentionnant les hébergés ayant subi des sévices dans les camps militaires, à la PJ, à la PRG et à la DST ; ceux-ci se sont présentés à l’infirmerie de Djorf. J’en ai examiné quelques-uns et j’ai fait les mêmes constatations objectives qu’au camp de Berrouaghia. » A CICR, B AG 251 008-004

QUATRIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre d’hébergement de Djorf
Localisation : Constantinois
Visité le : 22 mai 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 606

 

« Alimentation. […] Depuis notre dernier passage, les hébergés ont été autorisés à gérer eux-mêmes leur cuisine. Ils participent aux achats qui se font à M’sila par le gestionnaire en compagnie d’un hébergé. Ce système donne entière satisfaction. Cuisines. Une très importante amélioration a été apportée par l’installation d’une cuisine moderne dotée de fourneaux à mazout. Un magasin pour les aliments a été constitué. Des grillages anti-moustiques ont été placés dans l’entrepôt des viandes et des légumes. Vu la chaleur l’installation d’une armoire frigorifique complèterait utilement l’équipement de la cuisine. Cantine. La cantine est organisée et gérée exclusivement par les détenus. » A CICR, BAG 251 008-005
Maison d’arrêt de Mostaganem
Localisation : Oranie
Visité le : 04 juin 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 535

 

« Logement. La prison est installée dans un ancien fort turc aménagé à cet effet mais dont les possibilités d’amélioration et d’agrandissement sont actuellement atteintes [ndlr : capacité de 236]. Depuis l’an dernier 2 nouveaux dortoirs ont été aménagés. Cependant l’établissement demeure extrêmement surpeuplé, l’aération et le cubage d’air sont insuffisants (environ 3 à 4m3 par homme). Il serait urgent de prévoir une solution avant les chaleurs. […] Le problème du dégorgement rapide de cette prison est le principal problème qui se pose, d’abord pour les détenus, mais aussi pour le personnel administratif de la prison, qui n’est pas adapté à un aussi gros effectif de détenus. » A CICR, BAG 251 008-005

Centre de triage et de transit de Chanzy
Localisation : Oranie
Visité le : 05 juin 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 39

 

« Logement. 6 locaux d’une maison cantonnière, en dur, suffisamment vastes, éclairés, et aérés. Plusieurs pièces servant de dortoirs. Cour intérieure avec puits d’eau. Literie : nattes, couvertures. […] Entretien sans témoins. Se plaignent de l’insuffisance de couvertures. Sont traités correctement et n’ont aucune autre plainte à formuler. Sont inquiets à propos de la situation de leur famille. » A CICR, BAG 251 008-005

Centre de triage et de transit de Meffrouch
Localisation : Oranie
Visité le : 07 juin 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 38

 

« Logement. Une baraque militaire, du type armée française. Spacieuse, bien aérée, avec cubage d’air normal. Hygiène. Les suspects font leur toilette à un petit ruisseau qui coule près du camp, savon à disposition. Latrines de campagne. Nourriture. Préparée à la cuisine de la troupe. La même que celle de la troupe, mais rations plus petites du fait de la prime allouée jusqu’à ce jour. […] Entretien sans témoins. Se plaignent de la ration alimentaire insuffisante. Sont bien traités, bien logés. N’ont subi aucun mauvais traitement. Demandent une amélioration du régime des visites. Entretien avec Cdt. secteur. Il sera remédié immédiatement au problème de la nourriture, car la prime alimentaire allouée a été portée à 240 fr. au lieu de 140 fr. » A CICR, BAG 251 008-005

CINQUIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre de triage et de transit de Bir el Ater

Localisation : Constantinois
Visité le : 10 décembre 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 51

 

« Logement. 4 tentes, avec poêle. 1 lit de camp avec paillasse (fourni depuis quelques jours seulement) et 3 couvertures par prisonniers. […] Nourriture. Améliorée depuis quelques jours. Préparées par les prisonniers, rations fournies par la troupe. […] Habillement. Quelques jours avant la visite, les prisonniers ont reçu des effets militaires (chaussures, chemise, chandail et bourgeron). […] Impression générale. Pas mauvaise, mais il est souhaitable que les améliorations matérielles apportées très récemment, ne soient pas modifiées ultérieurement. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit de Barika

Localisation : Constantinois
Visité le : 09 décembre 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 33

 

« Situation. Ancienne ferme située dans la localité. Grande cour intérieure. […] Logement. Logements d’habitation donnant sur la cour intérieure. Dans une deuxième cour se trouvent la cuisine, les pièces servant d’habitation sont très propres suffisamment aérées. Densité de peuplement normale. Chaque interné dispose d’une natte, d’une paillasse et d’une couverture. […] Entretien sans témoins. Au cours de l’entretien habituel, quelques internés qui parlent français, nous affirment être très bien traités, bien nourris, logés correctement. Ils ne formulent aucune plainte. Les assignés définitifs aimeraient recevoir des visites de leurs parents. Cette requête est transmise au Commandant du secteur, qui lui donne suite favorablement. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit de El Ma el Abiod

Localisation : Constantinois
Visité le : 10 décembre 1957
Délégués : Messieurs Gaillard et Gailland
Effectif du camp : 39

 

« Logement. 2 tentes. 1 lit de camp (fourni récemment) et 4 couvertures par prisonnier. […] Entretien sans témoins. Avec 1 groupe de prisonniers. Ne se plaignent pas de la nourriture. Les lits leur ont été donnés très récemment. Ils nous signalent : – absence de visites et colis familiaux, – pas de savon-, -se plaignent d’être parfois frappés, sur les lieux de travail, – demandent des habits. […] Remarques finales. Impression générale plutôt médiocre. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit de Baudens

Localisation : Oranie
Visité le : 06 février 1958
Délégués : Monsieur Gailland
Effectif du camp : 72

 

« Logement. Les chambres sont chauffées, éclairées, aérées et disposent d’un cubage d’air normal. La densité de peuplement y est normale. Le matériel de couchage consiste en 1 natte et 3 couvertures par homme. Les détenus disposent de matériel de campement et d’une planche à paquetage pour leurs effets personnels. Les locaux sont très propres. […] Remarques finales. Une section féminine a été également organisée. Son logement comprend une petite cour et une installation sanitaire. Les conditions matérielles et morales du camp sont très bonnes. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit de Lamoricière

Localisation : Oranie
Visité le : 14 février 1958
Délégués : Monsieur Gailland
Effectif du camp : 216

 

« Logement. Baraquements en dur, dont les murs sont crépis à la chaux. Les locaux sont suffisamment spacieux, aérés et éclairés. La densité de population est normale, et le cubage d’air suffisant. L’installation du couchage comprend des bas-flancs avec paille, des nattes et des couvertures. Du matériel de campement est à disposition. Chaque local est chauffé. […] Entretien sans témoins. Nous nous entretenons avec un groupe d’une trentaine d’internés. Ces derniers sont en général satisfaits des conditions matérielles et morales de ce camp. Aucune plainte n’est formulée. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit de Sainte-Barbe du Tlelat

Localisation : Oranie
Visité le : 09 février 1958
Délégués : Monsieur Gailland
Effectif du camp : 46

 

« Logement. Le camp n’existe que depuis 15 jours. Actuellement il est constitué par 4 guitounes militaires, mais les bâtiments en dur sont déjà en construction. Les guitounes sont pourvues d’une installation militaire impeccable. Bas flancs de bois, paillasses, couvertures, matériel de campement. Le tout est très propre. […] Entretien sans témoins. Nous nous entretenons avec les 4 chefs de guitounes, qui auparavant étaient au camp Saint Denis du Sig. Selon leurs déclarations les conditions matérielles et morales sont excellentes dans les 2 camps. L’attitude de la garde et des officiers a toujours été très humaine, voire fraternelle. Aucune plainte n’est formulée. […] Remarques finales. Les conditions sont bonnes. Nous avons remis 50 paquets de cigarettes à l’intention des détenus. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre de triage et de transit d’Aïn Frass

Localisation : Oranie
Visité le : 06 février 1958
Délégués : Monsieur Gailland
Effectif du camp : 31

 

« Logement. Le logement est constitué par une pièce, bien éclairée, chauffée, propre et au cubage d’air normal. La densité de peuplement est normale. Des nattes, des couvertures, du matériel de campement sont à disposition. […] Remarques. Les conditions de détention dans le camp sont bonnes. » ACICR, BAG 251 008-006

Centre d’hébergement de Bossuet

Localisation : Oranie
Visité le : 07 février 1958
Délégués : Monsieur Gailland
Effectif du camp : 1600

 

« Loisirs et exercices physiques. Radiodiffusion. Cours en français. Les cours ont été supprimés en arabe. Les internés disposent d’une vaste cour dans laquelle ils sont libres de se promener. Une bibliothèque se trouve dans l’ancien camp. Une autre sera installée dans le nouveau camp. […] Plaintes des internés lors de l’entretien sans témoins des mises en cellules très fréquentes : La mise en cellule s’accompagne fréquemment de brutalités et de sévères restrictions alimentaires, allant jusqu’à la suppression de toute alimentation durant 3-4 jours. […] Si notre examen a permis de constater que les conditions matérielles sont satisfaisantes, il nous parait en revanche impératif d’apporter une amélioration du traitement et des conditions morales […]. » ACICR, BAG 251 008-006

SIXIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre militaire des internés de Ksar-Thir

Localisation : Constantinois
Visité le : 15 décembre 1958
Délégués : Messieurs Gaillard et Vust
Effectif du camp : 185

 

« Libérations : Depuis la création du CMI, plusieurs prisonniers ont déjà été libérés. Notre visite coïncide du reste avec la libération des 5 prisonniers […] Nous assistons à la cérémonie de libération de ces 5 hommes. […] Pendant que nous procédons à la visite du camp, les prisonniers revêtent des habits civils tout neufs qui leur sont fournis par l’administration. D’autre part, des moyens de transport militaires sont mis à leur disposition pour assurer leur retour dans leurs familles à Bougie, Beni-Ourtilane et dans la région de Batna. » A CICR BAG 225 008-008

« Ces libérations ont été faites à l’occasion de nos visites […], fait qui a été souligné dans les allocutions prononcées par les officiers responsables lors des deux petites cérémonies. Les deux libérations se sont passées devant le front des prisonniers rassemblés, en présence chaque fois d’une dizaine d’officiers supérieurs. Aucun représentant de la presse n’avait été convié, mais des photographes militaires ont fait un reportage complet des deux cérémonies. » A CICR B AG 251 008-007

Centre militaire des internés de Bône « Ferme des Anglais »

Localisation : Constantinois
Visité le : 16 décembre 1958
Délégués : Messieurs Gaillard et Vust
Effectif du camp : 160

 

« Logement : Les dortoirs ont subi d’importantes améliorations par l’installation de portes, fenêtres et de cloisons intérieures. Deux nouveaux bâtiments en dur, adossés à l’un des murs de la cour ont été construits. Les murs ont été blanchis. Pour dormir, les PAM disposent chacun d’un lit de camp, d’une paillasse et de 4 couvertures. Les conditions de logement sont donc tout à fait satisfaisantes. […] Libérations : […] à l’occasion de notre visite au CMI nous assistons à une petite cérémonie au cours de laquelle les 5 PAM suivants sont libérés […] Les deux premiers reçoivent devant nous une enveloppe contenant l’argent nécessaire à leur voyage de retour dans leurs familles. Ils sont également munis des papiers nécessaires. Les trois derniers, originaires environs de Bône, sont conduits par voiture militaire à leurs domiciles respectifs. Tous ont été revêtus d’habits civils neufs, fournis par l’administration. » ACICR B AG 225 008-008

SEPTIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre de triage et de transit de Kenadsa

Localisation : Constantinois
Visité le : 12 novembre 1959
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : 216

 

« Entretien sans témoins : […] Tous s’estiment très bien traités et n’ont aucune plainte à formuler concernant le C.T.T. […] D’autre part, quelques internés auraient subi le supplice de l’eau et de l’électricité lors de leur interrogatoire, il y a quelques mois à Bidon 2, près de Colomb-Béchar, où ils seraient restés durablement en cellules. […] Ce camp nous fait une très bonne impression. Concernant les sévices, le Commandant représentant le Général Gribius (Commandant du territoire de Colomb-Béchar), qui assiste à notre visite, admet que cela était peut-être vrai il y a 6 mois, mais que, depuis lors, des dispositions très sévères ont été prises et l’on a mis complètement fin à ces regrettables pratiques. » ACICR BAG 251 008-008

Centre militaire des internés de Ksar-Thir

Localisation : Constantinois
Visité le : 05 novembre 1959
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : 478

 

« Remarques finales : Bonne impression d’ensemble. Les conditions matérielles de logement, d’hygiène, de nourriture et de travail sont favorables. A noter la création d’ateliers et de cours de formation professionnelle. Nous assistons à la cérémonie de la libération de 37 prisonniers. Tous ces libérés, se sont réengagés dans des formations militaires de l’Armée française, mais l’on nous assure que la plupart pourront demander, dans peu de temps, leur libération définitive, s’ils le désirent. La cérémonie débute par le lever des couleurs. Plusieurs prisonniers libérés haranguent leurs camarades, et la cérémonie se termine par le discours du Commandant du camp et du Colonel Ducousseaux. » ACICR BAG 251 008-008
Centre d’hébergement de Paul Cazelles

Localisation : Algérois
Visité le : 22 octobre 1959
Délégués : Messieurs R. Vust et L. Vust
Effectif du camp : 1 370

 

« Logement. Une cinquantaine de baraques en tôle sur sol bétonné. 40 hommes par baraque. Lits doubles, nattes, fourres de matelas (en ce moment sans crin), 3 couvertures. […] Loisirs et exercices physiques. Bibliothèque contenant 300 volumes. Des cours sont donnés par les internés. Football, volleyball, radio et cinéma à disposition. Traitement et discipline. Le centre est gardé par un détachement de C.R.S. Il est divisé en 4 blocs différents : A où sont les « durs » ; B et C où sont les « moyens » et « récupérables » ; D où se trouvent ceux qui doivent être libérés. » ACICR BAG 251 008-008

HUITIEME MISSION (cliquez ici pour voir l’ensemble des photographies)

 

Centre militaire des internés de Burdeau

Localisation : Oranie
Visité le : 30 janvier 1961
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : 747

 

« Le camp est divisé en trois blocs distincts et séparés les uns des autres. Ces blocs correspondent à des degrés de conviction et d’évolution « psychologique » différents des PAM (durs, moins durs, mous). Le classement des PAM est effectué par le lieutenant chargé de l’action psychologique dans le CMI, assisté d’un certain nombre de soldats. […] Punition en cellules. D’une manière assez unanime les PAM se plaignent de la facilité avec laquelle on leur infligerait des peines de mise en cellule, parfois fort longues et accompagnées de restrictions de nourriture. Quelques-uns d’entre eux affirment avoir été mis nu (avec un slip) et sans couverture dans ces cellules. » ACICR BAG 251 008-010

Centre de triage et de transit de la Ferme Chenu

Localisation : Algérois
Visité le : 06 février 1961
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : 80

 

« Soins médicaux et dentaires. Visite médicale obligatoire, à l’entrée et à la sortie du CTT ; Visite quotidienne du médecin ; Les soins sont donnés à l’infirmerie militaire voisine ; Hospitalisation à l’hôpital de Blida. […] Remarques finales. La visite de ce CTT nous laisse une bonne impression. L’on remarque qu’un gros effort a été fait pour améliorer les conditions de détention temporaire des internés. » ACICR BAG 251 008-010

Centre de triage et de transit de Barika

Localisation : Constantinois
Visité le : 17 février 1961
Délégués : Messieurs Gaillard, De Chastonay et Vust
Effectif du camp : 126

 

« Logement. 4 tentes aménagées avec un mur de tourbe sur les côtés. Paille renouvelée chaque mois, natte en jute et 2 couvertures par homme. Eclairage extérieur. Pas de chauffage. Une tente sert pour la prière durant le Ramadan. Une abrite les libérables (29). Les autres abritent les PAM et les isolés (dont les cas relèvent encore du procureur). […] Entretien sans témoins. Nous nous entretenons avec les représentants des libérables, des isolés et des PAM. Aucune réclamation si ce n’est celle des PAM de pouvoir écrire à leurs familles, n’ayant pas d’argent, ils ne peuvent se procurer le papier à lettres et les timbres-poste. » ACICR BAG 251 008-010

Centre de triage et de transit de Biskra

Localisation : Constantinois
Visité le : 17 février 1961
Délégués : Messieurs Gaillard, De Chastonay et Vust
Effectif du camp : 176

 

« Visite complémentaire des cellules du 2ème Bureau à Biskra. Ces cellules sont annexées à une villa, (Villa des Roses) à l’intérieur de la localité de Biskra. Elles sont au nombre de 9. Beaucoup d’entre elles sont sombres et trop exiguës, beaucoup trop petites pour contenir, comme cela est le cas, 2 à 3 internés. Leurs dimensions sont si petites (1m/2m), qu’à trois, il doit être impossible de s’allonger. Plusieurs cellules sont complètement dépourvues de couvertures, d’autres sont tout à fait obscures et sans aération. Nous parlons seul à seul avec quelques internés qui paraissent craintifs et n’osent rien dire. Tous se plaignent cependant de manquer d’air et d’exercice. Le séjour des internés dans ces cellules, après leur arrestation, n’est pas d’une durée fixe, mais en fonction des nécessités des enquêtes. Souvent ils y passent au moins une dizaine de jours et ces conditions de détention nous paraissent très en dessous du minimum exigible. » ACICR BAG 251 008-010

Centre de triage et de transit Eugène Etienne

Localisation : Oranie
Visité le : 31 janvier 1961
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : 18

 

« Situation. Il s’agit d’un centre de rééducation et de prélibération pour femmes et pour la zone ouest oranais […]. Libérations. En 1960, 161 femmes ont été internées. En 1960, 136 femmes ont été libérées. Autres destinations : 4 en centres d’hébergement, 20 à la justice, 1 expulsée au Maroc. […] Loisirs et exercices physiques. Cours scolaires par une harkette, radio dans le camp, cinéma itinérant une fois par semaine. […] Entretien sans témoins. Aucune femme ne parlant le français, nous nous entretenons avec trois d’entre elles par l’intermédiaire de l’infirmière, une jeune musulmane faisant fonction d’interprète. Les internées ne formulent aucune plainte ; elles s’estiment bien traitées et ne demandent que leur libération. » ACICR BAG 251 008-010

Centre de triage et de transit de Saint-Denis-du-Sig

Localisation : Oranie
Visité le : 02 février 1961
Délégués : Messieurs Gaillard et De Chastonay
Effectif du camp : X (inconnu)

 

« Logement. 8 bâtiments en dur, 7 cellules. Chaque interné dispose d’une natte et de deux couvertures. Pas de chauffage, mais le climat est doux. Eclairage électrique. […] Entretien sans témoins. Absence d’eau courante. Citerne en plein air, non-couverte. Plusieurs internés souffriraient de diarrhées. » ACICR BAG 251 008-010

NEUVIEME MISSION

⇒ AUCUNE PHOTOGRAPHIE ASSOCIÉE

 

La neuvième mission permet aux délégués du CICR de vérifier dans quelle mesure les différents règlements adoptés au printemps 1961 par l’armée française concernant le fonctionnement et l’organisation des CTT, CH et CMI sont respectés. Ces réglementations ont pour but d’encadrer le fonctionnement et le régime intérieur des lieux de détention ;  cependant, au long de leurs 51 visites, les délégués découvrent rapidement que plusieurs chefs de camp ne s’y conforment pas et que les plaintes des détenus pour sévices sont encore nombreuses. La mission met également en lumière la question des musulmans expulsés de la métropole et détenus dans des CTT au lieu d’être assignés à résidence. Enfin, les lignes suivantes témoignent de la prise de conscience du CICR quant aux tensions qui pourraient survenir en vue de l’indépendance du pays qui s’annonce :

« Il faut que le CICR soit conscient du fait que le jour où l’Algérie accédera à une forme encore indéterminée de l’indépendance, elle passera de l’état de troubles graves à la guerre civile ouverte. Il s’agira donc là également, pour le CICR, de prévoir et de préparer le terrain. »
A CICR, B AG 251 008-011
DIXIEME MISSION

⇒ AUCUNE PHOTOGRAPHIE ASSOCIÉE

 

La dixième mission se distingue par le nombre relativement peu élevé de lieux de détention visités (9), ainsi que par le type de détenus. En effet, la mission se concentre sur la visite des prisonniers et internés « activistes » en très grande majorité de souche européenne. Cette mission est déployée quelques mois seulement après la signature des Accords d’Evian, dans un climat où les violences et les représailles fusent. Lors des visites aux détenus, le CICR observe que les conditions de détention des détenus sont dans l’ensemble satisfaisantes, de nombreux camps ayant fait l’objet d’une réfection avant l’arrivée des détenus européens. Les plaintes pour brutalités ont, elles aussi, considérablement baissé. La principale crainte des détenus concerne leur avenir en Algérie une fois que la souveraineté de l’état sera prononcée. Les délégués du CICR se sont, eux aussi, penchés sur la question :

«  D’après les informations non officielles que nous avons pu recueillir, ceux-ci
[N.d.A : les détenus et internés de souche européenne] ne tomberont pas sous l’autorité du futur gouvernement algérien. A ce jour, seuls sont encore emprisonnés en Algérie les prévenus, en instance de comparution devant l’un des Tribunaux d’Ordre public. Ceux d’entre eux qui n’auraient pu être jugés avant la fin du mois seront rapatriés. Quant aux condamnés, ils sont immédiatement transférés en métropole. » A CICR B AG 251 008-016

LISTE DES ACRONYMES

Lieux de détention :

CH : Centre d’hébergement : camp regroupant des personnes assignées à résidence surveillée sur la base d’un arrêté préfectoral, pour une durée indeterminée.[3]
CTT : Centre de triage et de transit : camp de détention temporaire géré par les militaires pour personnes suspectées de soutenir le mouvement indépendantiste et d’appartenir à l’ALN.[4]
CMI : Centre militaire d’internement : camp de détention géré par les militaires où sont internées les personnes prises les armes à la main (voir définition PAM).[5]

Parties prenantes :

FLN : Front de libération nationale : mouvement insurrectionnel armé indépendantiste algérien.
ALN : Armée de libération nationale : bras armé du FLN.
OAS : Organisation de l’armée secrète : organisme clandestin créé en 1961 auteur d’actes terroristes, formé de partisans en faveur du maintien de la présence française en Algérie.

Catégorie de détenu :

PAM : [combattant] pris les armes à la main : combattant capturé les armes à la main. A partir de 1958, les PAM seront détenus dans des CMI après avoir transité dans un CTT.


POUR ALLER PLUS LOIN

 

– L’IMPLICATION DU CICR DANS LE CONFLIT ALGERIEN –

Une qualification délicate

« Evénements d’Algérie », « guerre de libération nationale », « guerre civile », « guerre de décolonisation », le spectre terminologique qui entoure le conflit témoigne à la fois de sa complexité, tant au niveau de la variété des parties prenantes que de sa nature sur le plan du droit international. Le conflit n’étant pas reconnu comme un conflit armé international par la France, les quatre Conventions de Genève ne peuvent être appliquées. Ce n’est qu’en 1956 que l’article 3, commun aux quatre Conventions de Genève, est reconnu comme applicable par l’Etat français.[6]

L’enjeu terminologique est reflété lors de la XIXe Conférence internationale de la Croix-Rouge en 1957, où la résolution adoptée à l’unanimité en faveur des Algériens réfugiés au Maroc et en Tunisie mentionne les termes « événements » et « guerre » à seulement deux paragraphes d’intervalle. On peut supposer dans ces choix une volonté d’alignement avec la France pour le bon déroulement des activités déployées et la nécessité d’interpeler la communauté internationale pour mobiliser des dons. Il faudra attendre l’année 1958, date qui coïncide avec la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne, pour que le CICR adopte durablement les termes « conflit » et « guerre » pour décrire la situation en Algérie dans sa communication interne et publique, abandonnant le terme « événement » employé jusqu’alors.

New Delhi. XIXe Conférence internationale de la Croix-Rouge. 1957. 

Résolution en faveur des Algériens réfugiés au Maroc et en Tunisie, Rapport d’activité du CICR de 1957, p. 11.

L’assistance aux populations regroupées et réfugiées

Durant la guerre d’Algérie, le CICR mène des actions humanitaires principalement dans les domaines de la détention et de l’assistance. Pour ce faire, il agit de concert avec diverses sociétés nationales, notamment la Croix-Rouge française sur le territoire algérien en ce qui concerne l’assistance aux populations civiles, mais aussi le Croissant-Rouge tunisien et son homologue marocain.

A partir de 1955, la France cherche à endiguer la vague nationaliste et indépendantiste en contraignant les populations rurales à quitter leurs villages pour s’installer dans des camps de regroupement. Ces camps situés à l’orée des villes mais aussi dans des zones reculées ne mobilisent pas immédiatement le CICR qui se concentre sur les visites aux détenus ;  mais, fait plus surprenant, ils ne font pas non plus l’objet d’une assistance de la Croix-Rouge française. En effet, cette dernière est avant tout auxiliaire des pouvoirs publics et du service de santé de l’armée. Depuis le début du conflit, ses interventions auprès des populations regroupées [7] sont donc sporadiques et il faut attendre l’année 1959 avant que la société nationale n’intervienne à grande échelle, sous l’impulsion de l’opinion publique métropolitaine qui découvre, à travers la presse, la situation précaire des « personnes regroupées ». Des équipes itinérantes se forment alors et sillonnent le territoire dans des camions de cinq tonnes, à l’intérieur desquels sont installés des équipements médicaux improvisant des hôpitaux de campagne.

Mais quelle est la situation logistique et sanitaire de ces populations regroupées ? A en juger par le rapport de mission du délégué Jérôme Santandrea, rédigé à l’hiver 1962, le constat est alarmant :

« Un très faible pourcentage des centres de regroupement est bâti en dur. Dans ce cas, les centres sont situés dans des régions où dès la fin des hostilités les habitants pourront devenir autonomes ; en d’autres termes, ils disposent de terres cultivables. Par contre, la grande majorité des centres de regroupement sont constitués par des gourbis. Bâtis à l’aide de briques – obtenues par malaxage de terre glaise et de paille – recouverts de toits de chaume ou de branches, ils abritent une population vivant à même le sol de terre battue, de pair avec les animaux domestiques. […] Les habitants des centres visités m’ont donné l’impression de manquer du plus strict nécessaire. La mortalité infantile est élevée, découlant avant tout du manque d’hygiène, et des graves carences alimentaires. De très nombreux cas de tuberculose sont également constatés, et leur propagation est facilitée par le fait que les personnes atteintes se refusent à s’éloigner de leur famille pour recevoir des soins. Par ailleurs, le rachitisme et le trachome sont parmi les affections les plus répandues. » A CICR, B AG 251 008-012

Distribution de secours dans un centre de regroupement (1962) et distribution de lait condensé à des populations regroupées dans la région de Duperré (1958).


NOTES DE BAS DE PAGE

[1] Les supplétifs de l’armée française, communément appelés harki, sont des Français musulmans ayant combattu au sein de l’armée française durant le conflit algérien. Aux lendemains de l’indépendance de l’Algérie, les supplétifs font l’objet de représailles de la part du gouvernement nouvellement instauré, mais aussi de la population. Ainsi, dans les mois qui suivent l’indépendance, les disparitions, massacres et incarcérations de supplétifs, mais aussi d’Européens restés en Algérie prolifèrent, de telle sorte que le CICR envoie une dernière mission dans le pays. Cependant, le sort réservé aux supplétifs est traité de manière secondaire, la priorité étant laissée aux Européens disparus. Pour recueillir davantage d’informations sur les formations supplétives pendant la guerre d’Algérie, suivre les liens suivants : https://harkis.gouv.fr/les-harkis/les-harkis-qui-sont-ilshttps://imagesdefense.gouv.fr/harkis-guerre-algerie-tragedie-abandon-reparations

[2] Perret, Françoise. « L’action du Comité international de la Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie (1954–1962). » International Review of the Red Cross 86.856 (2004), pp. 924-925.

[3] Le CICR visite pour la première fois les centres d’hébergement lors de la deuxième mission. Les profils et les motifs d’assignation des personnes sont variés et relativement arbitraires. En effet, trois motifs d’arrestation sont relevés par les délégués du CICR au cours de leurs visites : « Les uns ont été arrêtés en raison de leur passé politique. Leur internement a un caractère préventif. On cherche à les empêcher de rallier le parti rebelle. Les autres sont en revanche privés de leur liberté à titre répressif, en raison d’une activité dangereuse pour la sécurité de l’Etat, mais insuffisamment précise pour servir utilement le fondement à des poursuites judiciaires. » ACICR, B AG 251 008-002. Enfin, on retrouve également dans ces camps des anciens prisonniers ayant purgé leur peine, internés à caractère préventif car potentiellement dangereux. Besnaci, Fatima.  « Prisons et camps d’internement en Algérie: les missions du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans la guerre d’indépendance, 1955-1962. » éditions du croquant (2018), pp. 102-103.

[4] Le CICR découvre fortuitement l’existence de ces centres lors de la deuxième mission, mais il faut attendre la quatrième mission pour que les délégués reçoivent la liste de ces camps et l’aval de les visiter. Formellement, le séjour des internés ne dépasse pas les deux à trois mois, après lesquels ils sont traduits en justice ou redirigés vers un centre d’hébergement. Décrits comme des centres d’interrogatoire, les conditions de détention dans les CTT ont fait l’objet à plusieurs reprises de plaintes des internés qui déclarent notamment avoir subi des sévices corporels.

[5] Ce type de camp est créé à partir de 1958 par le général Salan, commandant en chef des Forces françaises. L’adoption du projet des CMI résulte des nombreux échanges avec le CICR qui œuvre à l’idée de réserver un traitement différencié aux combattants « pris les armes à la main » (PAM) par rapport à celui des auteurs d’actes terroristes. Avec ce statut, la volonté du CICR est de chercher à s’aligner sur le statut de prisonnier de guerre (PG), catégorie protégée par la Troisième Convention de Genève. Dans les faits, la France se montre rétive à l’idée de placer le conflit algérien dans la catégorie de conflit international et, de ce fait, ne souhaite endosser aucune responsabilité quant à l’assimilation entre le statut de PAM et celui de PG et des traitements qui leur incombent respectivement.

[6] « En fait ce n’est que le 23 juin 1956 que, par la voix de Guy Mollet, alors président du Conseil, le gouvernement français reconnaîtra officiellement l’applicabilité de l’article 3 au conflit algérien. Mais les Algériens, qui veulent affirmer le caractère international du conflit, réclament l’application de l’ensemble des quatre Conventions de Genève. L’enjeu est de taille, surtout en ce qui concerne la responsabilité individuelle du combattant. En effet, dans les conflits internationaux, le soldat est perçu comme un instrument de l’État; il n’encourt donc pas de responsabilité individuelle pour le fait d’avoir combattu, pour autant qu’il se soit conformé aux lois et coutumes de la guerre. En revanche, dans les conflits non internationaux, l’État se réserve le droit de réprimer la rébellion en utilisant les instruments du droit pénal; dès lors un insurgé peut être condamné pour le seul fait de sa participation aux hostilités. Cette mise en oeuvre du droit pénal fournit à l’État d’importants moyens de répression mais elle présente le risque d’effacer toute distinction entre les combattants qui respectent les lois et coutumes de la guerre et ceux qui ne les respectent pas. » Perret, Françoise, ibid, p. 927.

[7] « Le « regroupement » de populations civiles fut l’un des principaux moyens utilisés par la France pour combattre le Front de libération nationale (FLN) en milieu rural, où ce parti avait pris dès 1955 l’ascendant sur les populations algériennes. […] D’un point de vue stratégique, le regroupement consista à interdire toutes présence et circulation humaines dans les zones favorables aux nationalistes, puis à déplacer les populations qui y vivaient vers des lieux surveillés par l’armée. » (p.29). « Le regroupement ne se limitait toutefois pas à une opération militaire : c’était un lieu qui rendait possible un encadrement total des ruraux. L’armée et l’administration utilisèrent le terme de « centre », qui relève de l’euphémisme administratif permettant d’éviter celui de « camp ». […] Ce dispositif tenait grâce à la présence de l’armée qui gérait et encadrait le camp et imposait, là aussi avec d’importantes variations, des règles strictes d’entrée et de sortie, ou de discipline à l’intérieur des regroupements. » (p.31) Sacriste, Fabien. « Les « regroupements » de la guerre d’Algérie, des « villages stratégiques » ? », Critique internationale, vol. 79, no. 2 (2018), pp. 29-31.


RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

Besnaci-Lancou, Fatima. « Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie: mémoires photographiques et historiques. » Les éditions de l’Atelier (2022).

Besnaci-Lancou, Fatima. « Prisons et camps d’internement en Algérie: les missions du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans la guerre d’indépendance, 1955-1962. » éditions du croquant (2018).

Király, Clara. « L’action du CICR pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) » CROSS-files (2023). L’action du CICR pendant la guerre d’indépendence algérienne | Cross-Files | ICRC Archives, audiovisual and library.

Perret, Françoise. « L’action du Comité international de la Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie (1954–1962). » International Review of the Red Cross 86.856 (2004).

Sacriste, Fabien. « Les « regroupements » de la guerre d’Algérie, des « villages stratégiques » ? » Critique internationale, vol. 79, no. 2 (2018).

« Le CICR et le conflit algérien », Comité international de la Croix-Rouge, Genève (1962).

SOURCES PRIMAIRES

A CICR, B AG 251 008-001. Mission de détention de Jean-Pierre Maunoir et Pierre Gaillard au Maroc et en Algérie, du 28 février au 18 avril 1955. Rapports de visite.

A CICR, B AG 251 008-002. Deuxième mission de détention en Algérie de Claude Pilloud, René Bovey, Pierre Gaillard, et des Dr Hans Willener et Louis-Alexis Gailland, du 22 avril au 28 juin 1956, première partie. Rapports médicaux.

A CICR, B AG 251 008-004. Troisième mission de détention de Pierre Gaillard et du Dr Louis-Alexis Gailland, du 15 octobre au 3 novembre 1956. Rapports de visite.

A CICR, B AG 251 008-005. Quatrième mission de détention de Pierre Gaillard et du Dr Louis-Alexis Gailland, du 15 mai au 6 juillet 1957. Rapports de visite.

A CICR, B AG 251 008-006. Cinquième mission de détention de Pierre Gaillard et du Dr Louis-Alexis Gailland, du 23 novembre au 21 décembre 1957. Rapports de visite.

A CICR B AG 251 008-007. Sixième mission de détention de Pierre Gaillard, du 4 au 23 décembre 1958. Rapports de visite.

A CICR B AG 251 008-008. Septième mission de détention de Pierre Gaillard, Roger Vust, Laurent Vust et du Dr Jean-Louis de Chastonay, du 15 octobre au 27 novembre 1959. Rapports de visite.

A CICR B AG 251 008-010. Huitième mission de détention de Pierre Gaillard et Jean-Louis de Chastonay, du 24 janvier au 23 février 1961. Rapports de visite.

A CICR, B AG 251 008-011. Neuvième mission de détention de Pierre Gaillard, de Roger Vust et du Dr Jean-Louis de Chastonay, du 24 novembre au 15 décembre 1961.

A CICR B AG 251 008-016. Dixième mission de détention de Michel Martin, de Roger Vust et du Dr Jean-Louis de Chastonay, du 25 mai au 29 juin 1962.

A CICR B AG 225 008-008. 1958, rapports des missions du CICR en Algérie. Rapport de visite.