En 1996, les archives du CICR accueillent pour la première fois des lecteurs externes. Se pose alors la question de savoir comment rendre les fonds interrogeables et cherchables par des publics extérieurs. Si les fonds sont communicables au public, encore faut-il que le public sache quoi commander en salle de lecture !
Suivant un modèle alors largement répandu dans d’autres services d’archives, la salle de lecture se dote d’un espace dédié aux « inventaires ». Ceux-ci prennent la forme de liasses de diverses tailles où sont décrits les différents fonds d’archives accessibles au public[1]. Les lecteurs sont alors invités à parcourir les inventaires et à déterminer quelles références ils souhaitent consulter. Au fil des années, les inventaires sont progressivement mis en ligne sous la forme de fichiers pdf consultables à distance, permettant à chacun de se faire une idée des fonds d’archives conservés aux archives générales du CICR. En février 2025, les archives générales du CICR se dotent d’un catalogue en ligne, permettant de naviguer dans les différents inventaires.

Inventaires disponibles en salle de lecture, ACICR
L’inventaire est un outil parfois mal compris des lecteurs : il n’est pas vraiment possible par exemple d’effectuer une recherche par mot clef dans un inventaire, ni de sélectionner un auteur précis. En réalité, le propos de l’inventaire se situe surtout autour de la restitution du contexte de production des documents et de l’histoire administrative du fonds. Pour analyser un document, il importe en effet de situer son contexte de production, d’émission et de réception. Les inventaires permettent de restituer ce contexte. Fruits d’un travail long et minutieux de description mené par les archivistes, ils constituent un corpus très important et proposent des clefs d’analyse dans les différents fonds conservés aux archives du CICR.
Les inventaires sont actuellement rédigés selon la norme archivistique ISAD(G) développée par le Conseil international des Archives. Mais la pratique de rédaction des inventaires a bien évidemment beaucoup évolué au cours du temps et d’autres outils de recherche ont pu exister aux archives du CICR depuis le XIXe siècle. Dans ce court article, nous nous proposons de revenir sommairement sur certains d’entre eux. Nous nous intéresserons particulièrement à la façon dont le CICR a décidé d’organiser et de classer ses fonds.
Enregistrement du courrier, folios et cotes
À la fin du XIXe siècle, l’essentiel de la documentation conservée aux archives générales se compose de correspondances entrantes et sortantes, ainsi que d’une série de dossiers de travail. Sur le plan matériel, cette collection de documents représente seulement quelques mètres linéaires et s’organise de façon principalement chronologique.

Volumes de correspondances sortantes. ACICR A AF B
Les courriers entrants sont regroupés par pays d’origine puis classés dans l’ordre chronologique de réception des missives. Sous la cote A AF A-08.02 on retrouve par exemple toutes les lettres reçues par le Comité envoyées par des interlocuteurs situés au Royaume-Uni, sur la période 1863-1886. Le courrier sortant se retrouve sous la forme d’une série de volumes reliés dans lesquels chaque correspondance sortante a été transcrite sur papier carbone[2].
Quant aux dossiers de travail, ceux-ci démontrent une pratique administrative encore peu formaliste : la documentation des premières missions du CICR, telle la mission de 1875 au Monténégro se révèle bien mince et ne compte qu’une vingtaine de feuillets où on entrevoit les contours d’une mission, sans pouvoir dissiper nombre de zones d’ombres pour lesquelles la documentation conservée reste muette[3]. Les archives sont alors principalement conçues comme une ramification du système d’enregistrement du courrier et des documents de travail. Les courriers entrants et sortants font l’objet d’un système de numérotation incrémental qui assigne à chaque document une référence précise : le folio. L’enregistrement des documents se fait donc « à la pièce ».

Chaque série de volumes porte un numéro référence pour une mission. ACICR B Mis
À partir des années 1920, le CICR essaie de mieux enregistrer la documentation produite lors des différentes missions envoyées sur le terrain. Chaque mission fait ainsi l’objet d’une « série », une collection spécialement dédiée aux documents produits, reçus et expédiés lors de cette mission. Chaque série est référencée par une cote spécifique qui s’accompagne le plus souvent d’un inventaire. Dans ces inventaires sont listés pièce après pièce tous les documents relatifs à une mission. On parle donc à nouveau d’inventaire « à la pièce ». Ces inventaires à la pièce ont souvent été retravaillés au moment du remaniement des archives au début des années 1950. Ils sont aujourd’hui encore conservés par les archives générales et prennent la forme de très longues listes organisées en un tableau en trois colonnes : une première colonne donne un numéro de référence au document le « folio », une deuxième colonne donne la date du document, une troisième colonne donne un titre abrégé du document ainsi que toute information pertinente permettant d’identifier rapidement un document. La recherche dans les archives s’effectue alors en parcourant des listes particulièrement longues et détaillées listant chaque document entré aux archives.
Ordre chronologique, ordre thématique ?

Annexe au rapport de Clouzot. ACICR B CR 229, liasses « à intégrer ».
En octobre 1942, la Commission de coordination -l’organe qui exerce alors la direction générale de toutes les activités du CICR- crée une Commission des archives et de la bibliothèque[4]. Celle-ci est chargée « de l’étude de toutes les questions relatives à l’organisation et à la conservation des archives anciennes et modernes du CICR et de la bibliothèque de la villa Moynier »[5]. À cette occasion, Étienne Clouzot présente un rapport daté du 30 septembre 1942 où il dresse un état des lieux des différents fonds (Comité, Agence, Commission mixte)[6]. Il indique dans ce rapport, que les différents services jouissent d’une relative autonomie dans la manière dont ceux-ci organisent leurs documents de travail « selon des méthodes de classement particulières qui leur ont paru plus appropriées à leur but ». En annexe de ce document se trouve un « inventaire général qui se borne à constater les faits et signale la méthode de classement suivie dans chaque division. » Les premières pages concernent les fonds agence, tandis que la dernière page se concentre sur ce qui serait aujourd’hui les fonds généraux. Clouzot note « qu’au secrétariat le classement chronologique est de règle jusqu’aux archives Comité (série G) […] ».
Effectivement, le classement du sous-fonds B CR suit en quelques sorte un ordre chronologique (au fur et à mesure que se présentent les conflits, affaires, conférences et autres cas de figure auxquels le CICR est confronté). Pour le sous-fonds B G en revanche un système légèrement différent est élaboré en 1939 : « les originaux sont classés et côtés par matières. Chaque fois qu’une question nouvelle se présente une nouvelle cote est créée ». Entre 1939 et 1942 sont créées plusieurs matières au fur et à mesure des enjeux rencontrés par le CICR. Une des cotes les plus importantes est par exemple B G 003 qui porte sur les missions effectuées par les délégués. La décision de créer une nouvelle cote (et donc une nouvelle matière) revient aux archives, via la personne de Mlle. Jung[7] : « les secrétaires qui estiment nécessaire de créer un nouveau dossier (sic) sont priés de présenter leur suggestion au service des archives »[8]. Les archives sont malheureusement muettes sur le processus de négociations concourant à la création d’une nouvelle cote. Ce processus résultait certainement d’une négociation orale entre les différents préposés. Le plan de classement du B G est donc le résultat d’une négociation continue dans le temps entre les différents services et les archives. Si on reprend la définition de l’Abrégé d’archivistique[9], on ne peut pas dire que le système soit exactement « pérenne » puisqu’il enregistre des modifications au fil du temps. Les archivistes se sont néanmoins efforcés de mettre en place un système d’enregistrement relativement performant en greffant l’attribution des cotes au service d’enregistrement du courrier. Mais cela ne s’est pas passé sans quelques « couacs » : une cote B G 100 a par exemple été créée avant d’être abandonnée et tous les documents réintégrés à B G 009 « personnel sanitaire ».

Boîte de la cartothèque et cavaliers sous la lettre « I », ACICR
À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le volume des documents de travail reçus par les archives du CICR s’accroit significativement. Les archivistes sont donc à la recherche d’outil de recherche plus efficaces pour effectuer des recherches sur leurs fonds. À cette fin, un « fichier général des Archives » commence à être constitué dès décembre 1944[10]. Ce fichier se base sur le modèle des « dictionary catalogues » américains. Il se compose d’une série de cartothèques qui contiennent des fiches organisées de façon alphabétique. Les fiches traitent de différentes matières :
– les personnes avec lesquelles le CICR est entré en contact dans le cadre de ses activités ;
– les associations, Croix-Rouges et Croissants-Rouges et autres institutions avec lesquels le CICR traite ;
– les pays dans lesquels le CICR intervient ou non ;
– les « matières » qui peuvent recouvrir des domaines extrêmement variés : adoptions, bateaux, sous-marins, questions dentaires, pompiers, films, hommes de confiance, espions, amnésiques, et tant d’autres encore …
La rédaction de chaque fiche est standardisée : on indique en style télégraphique les principales informations reçues sur chaque personnalité, organisation et thèmes, avant d’ajouter à l’encre rouge la référence de la cote d’archives où se trouvent les informations pertinentes. Pour se repérer au milieux des cartes, sont ajoutés des petits signets en plastique de différentes couleurs, les « cavaliers » : verts pour les lettres de l’alphabet, jaunes pour les pays et régions, bleus pour les ethnies et nationalités, et rouges pour les matières.
1951 et enfin … le plan Pictet !
Jean Pictet est un juriste suisse, initialement entré au CICR en 1937. Il y effectue une brillante carrière et devient successivement directeur, directeur général, avant de devenir membre du Comité en 1967. Au sein des archives du CICR, il est connu pour avoir élaboré un plan de classement particulièrement efficace puisque celui-ci a été utilisé de 1951 jusqu’en 1997. Avec l’arrivée du « plan Pictet », les inventaires à la pièce disparaissent définitivement. De même, le fichier du service de recherche tend progressivement à être abandonné et ne semble plus être alimenté dans les années 1960. Ce plan de classement a eu une forte pérennité dans le temps : c’est la caractéristique d’un « bon » plan de classement. Ce critère de pérennité n’est pas facile à satisfaire car toute institution est vouée à évoluer : les différents départements passent par des remaniements, de nouveaux formats apparaissent, les pratiques de travail et la documentation produite changent. Malgré tout, le plan Pictet résiste plutôt bien au passage du temps.
« Le plan de classement est une construction intellectuelle qui structure les documents et les dossiers entre eux, souvent sous forme d’arborescence à plusieurs niveaux. Il doit être facile à comprendre, utilisable par plusieurs personnes, en même temps ou successivement et pérenne dans le temps. [11]»
Ce plan propose quatre orientations principales. Un premier ensemble porte sur les « affaires générales et tâches permanentes en dehors de l’assistance aux victimes ». Un deuxième ensemble porte sur les relations avec les différents interlocuteurs avec lesquels le CICR a pu se trouver en contact : sociétés nationales, gouvernements, organisations internationales, etc. Un troisième ensemble particulièrement important en taille rassemble toutes les séries traitant de l’assistance aux victimes. C’est par exemple dans cet ensemble que sont répertoriés les différents rapports de visites effectuées par le CICR ou encore les différentes plaintes que le CICR a pu recevoir. Un quatrième ensemble de taille plus réduite traite enfin des questions administratives et financières. C’est dans cette série qu’on retrouve notamment la trace des différents dons reçus par le CICR depuis les années 1950. Au sein du plan Pictet, la plupart des cotes sont construites autour de deux numéros : le premier numéro indique le thème traité (détention, évolution du droit international humanitaire, secours matériel, …). le second numéro est un code géographique désignant soit un pays soit une aire géographiques spécifique. Au cours du temps, certains codes géographiques apparaissent quand d’autres disparaissent et se voient progressivement remplacés.

Extrait de la documentation reçue de la délégation de Paris en 1955. Les cotes reportées en haut à droite, permettaient aux dactylos de savoir où retrouver l’information et combien de copies avaient été produites. ACICR D EUR France1-0375″.
Ce nouveau plan de classement est appliqué par les dactylos dès expédition et réception du courrier : sur chaque document sont reportés les numéros des différents thèmes abordés dans le document. Ainsi pour une correspondance avec telle autorité portant sur un sujet relatif à la détention, on notera plusieurs références : un numéro de référence pour indiquer qu’il s’agit d’une correspondance avec un gouvernement, un numéro de référence pour indiquer qu’il s’agit d’un document traitant de questions liées à la détention, et ainsi de suite. Le document original ne pouvant être physiquement conservé qu’à un seul endroit et sous une seule cote, des copies sont produites et diffusées sous toutes les autres cotes pertinentes. Bien qu’efficace, ce système d’enregistrement de la documentation suppose beaucoup de rigueur et de discipline de la part des différents services de secrétariat à l’œuvre. En octobre 1951, Pierre Vibert adresse une note à Jean Pictet signalant les différents manquements menaçants à terme la bonne constitution et la bonne tenue des archives[12]. Il s’émeut tout d’abord que les courriers importants soient mal enregistrés et qu’ils ne parviennent aux archives qu’après « plusieurs mois de retard ». Il souligne en outre que certains services ne transmettent jamais de copies des lettres expédiées. Il accuse ensuite les collaborateurs du CICR de prélever des documents directement dans les dossiers d’archives et rapporte que certains documents auraient été découpés pour en extraire des passages ensuite recollés dans d’autres documents. Enfin, il souligne qu’il existe un problème de confidentialité et que certains documents sensés être conservés au coffre, sont faciles à obtenir partout ailleurs dans l’institution.
Malgré ces difficultés, le plan Pictet se révèle efficace et on ne constate finalement qu’assez peu de lacunes. Entre 2002 et 2015, un important travail d’inventaire est conduit par les archivistes du CICR : ceux-ci entreprennent de décrire selon une norme internationale introduite par le Conseil international des archives le fonds B AG. Ce travail de description est long et délicat : il implique de reprendre tous les dossiers tels qu’ils ont été classés et de décrire leur contenu, les sujets abordés ainsi que de resituer chaque document dans son contexte. S’il est fastidieux ce travail est absolument nécessaire et très généreux vis-à-vis des générations futures, car c’est grâce à lui que les fonds deviennent interrogeables et consultables.
Les inventaires , si on les compare avec le fichier central de 1944, pourraient sembler un peu austères. Ils impliquent effectivement de se plonger dans l’historique d’un fonds et de parcourir des descriptions parfois longues, qui ne répondent pas de façon absolument évidente et immédiate aux questions du lecteur. Mais il faut souligner que toute recherche historique rigoureuse implique de croiser des sources : or, les inventaires sont particulièrement efficaces pour recouper des sources. En gardant la trace de l’histoire administrative du fonds, ils rendent évidentes les congruences et correspondances entre différents jeux de documents, et permettent aux chercheurs de déterminer si oui ou non une recherche a été menée de façon exhaustive. L’inventaire reste l’outil indispensable de toute enquête réalisée aux archives.
Comment utiliser un inventaire ?
Un inventaire liste un certain nombre de liassesde documents en leur attribuant des références précises. Il décrit le contenu des fonds selon un niveau de granularité déterminé par les archivistes. Un inventaire rend compte de la constitution d’un fonds d’archives : il permet de situer le contexte de production et de réception d’un ensemble de documents de travail. Il met en évidence des ensembles documentaires selon un ordre intellectuel établi par les archivistes. Il renseigne sur la façon dont les documents ont été utilisés par les différents services d’une institution.
Un inventaire n’est pas un thésaurus : il ne permet pas de faire de recherches par mot-clef. Si vous saisissez le mot « détention » dans la barre de recherche du catalogue, n’apparaîtront que les fonds, sous fonds, séries, sous-séries et liasses contenant le mot « détention » dans leur titre. Tout autre document ne contenant pas ce mot en son titre, quand bien même il traiterait de sujets liés à la détention, n’apparaîtra donc pas.
Il faut donc adopter une autre stratégie de recherche et se demander quels étaient les services, personnes et membres de l’institution chargés de produire l’information qui vous intéresse. À partir de cette première réponse vous chercherez à déterminer quels étaient les documents de travail qui ont été produits et comment ceux-ci ont été transmis aux archives. La lecture de la note laissée par l’archiviste en début d’inventaire est absolument cruciale, car elle rend attentif à la façon dont a été constitué et transmis un ensemble documentaire. Elle met ainsi en garde contre les différents effets de sources qui peuvent exister et donne de premières indications sur la façon de travailler sur un fonds d’archives.
Pour plus d’indications quant à la façon de travailler avec notre catalogue en ligne, nous vous invitons à visionner les deux vidéos suivantes :
– Explorer les inventaires et sélectionner des documents.
– Lire une cote et citer une référence archivistique.
[1] L’inventaire est l’aboutissement direct des travaux de classement effectués par les archivistes : il fournit au public une description précise du contenu des fonds et des cotes à consulter. Chaque article est analysé et décrit sommairement ; In. Association des archivistes français, [ed.] Abrégé d’archivistique: principes et pratiques du métier d’archiviste. 4e éd., Association des archivistes français, 2020, p. 180.
[2] Ceux-ci sont conservés actuellement sous la cote A AF B.
[3] Cette documentation est conservée sous la cote A AF A-21.13 et se compose d’un dossier assez mince. Fort heureusement le fonds privé du docteur Ferrière permet de compléter cette documentation, en particulier les cotes P FF-03 et P FF-04.
[4] ACICR A PV B Coord Volume 4, Procès-verbal de la séance du mardi 6 octobre 1942.
[5] ACICR B CR 229, voir la boîte « à intégrer », 13 octobre 1942.
[6] Ibid., Rapport réalisé par Étienne Clouzot, septembre 1942.
[7] Marion Jung effectue une carrière importante d’archiviste au CICR avant de partir travailler aux archives de l’Unesco. Voir ACICR B AG 070 02, lettre à Marion Jung.
[8] ACICR B CR 229, voir la boîte « à intégrer », Note de service M 51, 18 novembre 1942.
[9] Association des archivistes français, [ed.]Abrégé d’archivistique: principes et pratiques du métier d’archiviste. 4e éd., Association des archivistes français, 2020, p.77.
[10] ACICR B CR 229-01, Fichier général des archives, 7 décembre 1944.
[11] Association des archivistes français, [ed.] Abrégé d’archivistique: principes et pratiques du métier d’archiviste. 4e éd., Association des archivistes français, 2020, p.77.
[12] ACICR B AG 070-002, Note de Vibert à Pictet, 31 octobre 1951.


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