C’est un appel téléphonique très surprenant que Wolfgang Maass et son épouse Renate reçoivent durant l’été 2020. Une archiviste de Thale, leur ville de résidence en Saxe, veut vérifier si Wolfgang est bien le fils d’un certain Willi Maass, né le 20 avril 1913 à Quedlinburg. La réponse étant positive, elle leur apprend que Wolfgang est recherché par une dame britannique. Cette dame s’appelle Ena Gowland (née Stephenson) et elle a rencontré son père 74 ans auparavant…
L’histoire commence en Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale. Ena Stephenson a 14 ans et vit avec ses parents et ses frères et sœurs dans la ferme familiale à Copley Bent, près de Butterknowle. La famille possède 18 vaches laitières et livre le lait au village voisin.
En 1946, un prisonnier de guerre allemand nommé Willi Maass est envoyé dans la ferme des Stephenson pour travailler. Originaire de Saxe, Willi Maass appartenait à la Luftwaffe. Il a été capturé par les Américains le 24 juin 1944 alors qu’il participait à la bataille de Cherbourg au sein d’une unité de défense anti-aérienne. D’abord détenu aux Etats-Unis, il est transféré au Royaume-Uni le 30 avril 1946.
Willi est détenu au Harperley Camp n°93 et se rend tous les matins à la ferme pour travailler. Il se lie vite d’amitié avec la famille britannique. Ena se souvient qu’il était aussi grand que son père (plus d’1m80), travailleur et plein d’humour. Selon Ena, il devient même un héros local après avoir réparé le moulin du village (il travaillait dans un moulin avant guerre). Pour elle et sa famille, il n’y a pas de ressentiment envers cet ancien membre de la Luftwaffe : « Nous détestions Hitler mais nous ne détestions pas tous les Allemands. Il n’y a jamais eu chez nous aucune animosité envers les prisonniers de guerre qui travaillaient à la ferme. »
Il est particulièrement proche du frère d’Ena, Eric, qui a huit ans. Ce garçon lui rappelle-t-il son propre fils dont il est séparé depuis plusieurs années et qui doit avoir pratiquement le même âge ?
Le Noël 1946 approche et Willi est invité à partager le repas de fête des Stephenson. Cette année-là, le gouvernement britannique permet pour la première fois ce type de fraternisation entre prisonniers allemands et civils britanniques. Le prisonnier a préparé des cadeaux pour chaque membre de la famille Stephenson. Des jouets pour les enfants et des chaussons pour les parents. Pour Ena, il a cousu une trousse de toilette avec le tissu de son uniforme. A l’intérieur sont indiqués son nom et son numéro de prisonnier.
74 ans plus tard, Ena se souvient encore très bien de sa joie lorsqu’elle reçut ce cadeau. Elle l’a conservé pendant toutes ces années et son vœu le plus cher est de le restituer à la famille de Willi. Mais comment faire ?
Par l’intermédiaire de Kevin Richardson, président de l’association historique locale « The Evenwood, Ramshaw and District History Society », elle contacte les Archives Agence du CICR. La recherche dans le fichier allemand de la Seconde Guerre mondiale permet de trouver toutes les informations disponibles sur Willi Maass : date et lieu de naissance, noms des parents, adresse de la famille, parcours de détention, etc. L’ensemble des informations est communiqué à Kevin Richardson en juin 2020.
Grâce à l’aide de plusieurs personnes, en particulier en Allemagne, Ena et Kevin retrouvent la trace de Wolfgang Maass, le fils de Willi, et d’Edith, sa fille. Ils apprennent que Willi a divorcé quelques temps après la guerre et refait sa vie en Allemagne de l’Ouest. Ses enfants ont perdu le contact avec lui par la suite et n’ont malheureusement pas de photographie de Willi.
Après cette prise de contact, Ena envoie la trousse à Wolfgang et Edith par la poste. La boucle est bouclée pour elle : elle a pu exaucer son vœu. Si les conditions le permettent en 2021, elle souhaite aller rendre visite aux enfants de Willi en Allemagne.
Cette recherche atypique permet d’illustrer pourquoi il est si important de conserver les archives et de les rendre accessibles au public. Les documents d’archives peuvent trouver une utilité supplémentaire des décennies plus tard, qui dépasse les raisons pour lesquelles ils ont été conservés.
L’issue heureuse de la recherche a permis de créer un lien entre Ena et les enfants de Willi.
Les photographies sont reproduites avec l’aimable autorisation de Kevin Richardson, Ena Gowland et Wolfgang et Renate Maass.
Quelle belle histoire!
Merci pour ce partage et pour ce merveilleux travail que vous faites chaque jour en gardant la trace de celles et ceux qui ont souffert des guerres.