Note historique CICR rédigée par Tim Williams
Introduction
Le dessein premier de cette note est d’esquisser un certain nombre d’éléments explicatifs quant au mode de fonctionnement du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lorsqu’il s’est prêté, durant environ cinquante ans, à divers exercices et expériences dans le domaine radiophonique. En particulier, on tentera de rendre compte de la nature des relations qu’entretenait l’organisation avec les autres radios.
Développement
L’histoire de la radiodiffusion au sein du CICR débute au mois de mai 1945, conséquemment à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Parmi les impacts directs de cet arrêt progressif des combats, on note en effet la libération de nombreux prisonniers de guerre dont les identités sont connues par l’Agence centrale de recherches du CICR[i]. En raison de la désintégration des moyens et des voies de transport usuels, durement affectés par les bombardements et les combats[ii], le rapatriement des captifs n’est souvent pas immédiat. De surcroît, ces anciens prisonniers de guerre et internés civils ne sont pas en mesure de contacter directement leurs proches et de les assurer de leur survie. C’est la raison pour laquelle le CICR entreprend de diffuser des listes de noms par voie radiophonique
Après que la Société suisse de radiodiffusion (SSR) et son Secrétaire général Rodolphe de Reding, lequel avait exercé la profession de délégué au sein du CICR de 1919 à 1930[i], ont jugé[ii] que les objectifs de l’organisation sont légitimes, celle-ci exploite le studio de l’ancienne radio genevoise du nom de Radio-Genève[iii] pour se prêter audit exercice. Cette station, jeune d’une vingtaine d’années[iv] et propriété de la SSR[v], diffuse ses programmes à travers l’émetteur d’ondes moyennes de Sottens[vi] qui est situé dans le canton de Vaud et constitue l’un des trois émetteurs nationaux d’alors[vii]. Le CICR emploie d’abord le nom de Radio Caritas[viii] pour désigner son service de radiodiffusion créé en mars 1945, mais opte ensuite pour Radio Inter-Croix-Rouge.
Pendant trois ans et demi, c’est plus de 600’000[i] noms qui sont transmis en dix-sept langues différentes[ii] à des auditeurs se trouvant dans plusieurs pays d’Europe. Malheureusement, aucun de ces enregistrements d’origine n’a été conservé.
Alors, le CICR prend conscience que la radiophonie représente la voie de communication la plus rapide durant des périodes de crise inhérentes à son action. Eu égard au contexte géopolitique d’après-guerre régnant de par le monde, il est difficile de résoudre d’octroyer à un organisme ou à un autre quelque fréquence. Aussi, en 1949, la Conférence internationale de radiodiffusion à hautes fréquences de Mexico, organisée par l’Union internationale des télécommunications (UIT), accorde au CICR une fréquence dont il est en droit de disposer librement[iii]. C’est la première fois qu’une organisation humanitaire se voit confier pareil privilège. Si l’institution avait pu, de 1945 à 1948 et en considération de l’urgence ambiante, jouir gratuitement[iv] des autres infrastructures nécessaires à la radiodiffusion, elle doit, en 1950 et dans une atmosphère graduellement plus paisible, se résoudre à signer avec Radio-Genève une convention qui établit des bases juridiques à la collaboration des deux entités[v]. Dès le mois de mai 1951, le CICR diffuse, à raison de quatre fois par an[vi], de courts bulletins d’information qui ont pour objectif l’estimation des conditions de réception rencontrées par les auditeurs suivant leur position géographique. Dans cette optique, chaque émission est accompagnée d’une exhortation à l’envoi de rapports d’écoute où sont notamment mentionnées les données personnelles de l’expéditeur. De cette manière, le CICR constate que les ondes circulaires émises par l’antenne de Sottens n’atteignent pas les zones géographiques situées au-delà du bassin méditerranéen[vii]. Or, les conflits dans lesquels l’organisation commence à intervenir s’éloignent progressivement de cette région[viii]. Le CICR se met par conséquent en quête d’infrastructures permettant la diffusion à travers des ondes qui couvrent les régions voulues.
En 1965, le contrat qui lie le CICR à Radio-Genève n’est pas renouvelé. C’est alors au siège même de l’organisation, à Genève, dans l’enceinte du bâtiment dit « Carlton », qu’est installé le premier studio d’enregistrement propre au CICR. De là, Radio Inter-Croix-Rouge devient Red Cross Broadcasting Service (RCBS). Pour commencer, les programmes sont principalement composés d’entrevues entre des journalistes et des délégués récemment revenus de mission (exemple : ACICR V-S-10180-A-01). Chaque enregistrement est transmis soit à la SSR qui se charge de les faire diffuser par des radios étrangères intéressées, soit aux Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge des pays concernés qui se chargent, elles, de les distribuer aux différents services de radiodiffusion de leurs territoires[i]. En 1970, enfin, RCBS tend à gagner en autonomie dans son travail de diffusion. Initialement appuyé par le Comité international d’enregistrement des fréquences (IFRB selon l’acronyme anglais), il apprend que des fréquences dirigées sont disponibles simultanément sur l’émetteur du Service suisse des ondes courtes (l’une des anciennes appellations de SWI swissinfo.ch) de Schwarzenburg (canton de Berne) et sur des programmes nationaux de radiodiffusion à travers le monde[ii]. Après des négociations avec les Postes, téléphones, télégraphes (PTT) – l’administration publique suisse des postes et des télécommunications d’autrefois[iii] –, on lui confère gratuitement l’exploitation de l’émetteur, lequel est indirectement propriété de la SSR (entreprise régie par lesdits PTT[iv]) – société mère du Service suisse des ondes courtes. Les programmes, toujours constitués d’entretiens, mais également de bulletins de nouvelles en lien avec l’action du CICR (cf. ACICR V-S-10046-A-05), se font alors plus réguliers et peuvent être entendus sur les continents latino-américain, asiatique et africain. Dès le 23 novembre 1971, ils sont diffusés une fois tous les deux mois dans les zones d’action du CICR en langues anglaise, arabe, espagnole, française et portugaise. Une durée de trente minutes est consacrée à chaque langue. En parallèle, l’émetteur de Beromünster (canton de Lucerne), lui aussi possédé par le Service suisse des ondes courtes, retransmet à travers des ondes omnidirectionnelles des programmes destinés à l’Europe. S’ensuivent des événements synonymes de développement pour RCBS. Parmi eux, plusieurs collaborations avec d’autres radios, notamment dans le cadre de célébrations telle la naissance d’Henry Dunant (Journée mondiale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge le 8 mai), et le passage à un rythme de diffusion mensuel. Le 23 avril 1992, RCBS est davantage lié au Service suisse des ondes courtes – devenu Radio Suisse Internationale (RSI) en 1978 lorsqu’un contrat pour des coproductions mensuelles est établi. Ces programmes sont, eux aussi, de véritables radiojournaux qui informent des activités principales du CICR, mais ils ne contiennent que rarement des interviews (cf. ACICR V-S-11716-A-01).
Malgré la régularité des diffusions du Red Cross Broadcasting Service et leur audience toujours bien réelle, l’avènement d’Internet freine peu à peu les progrès radiophoniques tant du CICR que de RSI. En effet, en septembre 1995[i], le CICR ouvre son site Web officiel icrc.org[ii]. RSI, quant à elle, lancera en 1999 swissinfo.ch qui, de par son appellation même, marque le passage d’un support de communication à un autre. Bien plus, ces changements coïncident avec le départ à la retraite du technicien du son Gérard Penard, présent au sein de l’organisation depuis trente-quatre ans[iii]. Par ailleurs, les PTT ne sont plus en mesure d’exonérer le CICR de la taxe d’exploitation des infrastructures. Ainsi, la dernière émission produite par RCBS date du mois d’octobre 1996 (cf. ACICR V-S-12814-A-13). C’est toutefois en 1998 que disparaît définitivement le service, lorsqu’il cesse également ses coproductions avec RSI[iv].
Conclusion
Cet arrêt, brutal parce qu’il intervient dans un contexte de vif développement, marque le passage à un média qui suggère une relation moins intime entre le CICR et son entourage. Derrière l’émission radiophonique, en effet, subsistent nom et voix ; derrière l’écrit numérique, il n’y a qu’un nom – au mieux accompagnée d’une courte biographie ; au pis raccourci en initiales.
Par conséquent, l’action du CICR, aux yeux de ceux qui ne la connaissent que de loin, perd de sa personnification. Néanmoins, si le lien unissant le rédacteur au lecteur est assurément moins étroit que celui qui intervient entre le présentateur et l’auditeur, il n’implique certainement pas que la diffusion du message soit moins efficiente lorsqu’il est fait usage d’Internet. En effet, la diffusion d’informations tend aujourd’hui à être de plus en plus laconique. Le réseau social Twitter convient à l’illustration de ce phénomène, car il ne permet pas à ses utilisateurs d’employer plus d’un certain nombre de caractères lorsqu’ils entendent diffuser un message. Ce faisant, le diffuseur ne prend pas le risque de demander à son public une attention trop chronophage et plus l’information est condensée, plus elle est diffusée à large échelle. La radiodiffusion, en revanche, requiert que l’émetteur et le récepteur consacrent plusieurs minutes à la retransmission, respectivement à l’écoute, d’un bulletin d’information. Parmi les avantages offerts par l’emploi d’Internet, on note aussi une interactivité plus évidente que celle suggérée par les rapports d’écoute. Puisqu’en effet chaque individu connecté à Internet peut immédiatement réagir à la diffusion de quelque information, ce média est en mesure d’évaluer l’impact de son travail de manière très concrète et surtout instantanée. En définitive, le média d’information a constamment conscience de ce qui intéresse ou non le grand public et, par cette fenêtre ouverte sur le client et ses envies, il peut anticiper et mieux cibler les besoins de ce dernier.
[i] BIENER H., « Red Cross Broadcasting Service (RCBS) » in Radio for Peace, Democracy and Human Rights, 01.2006, consulté le 23 février 2016
[ii] COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE, « L’Agence centrale des prisonniers de guerre » in Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (1er septembre 1939 – 30 juin 1947), p.91, 1948, consulté le 23 février 2016
[iii] (1971). The Red Cross Broadcasting Service. International Review of the Red Cross, 11, pp 615-616 doi:10.1017/S0020860400080256
[iv] COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE, « L’Agence centrale des prisonniers de guerre » in Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (1er septembre 1939 – 30 juin 1947), p.91, 1948, consulté le 23 février 2016
[v] CARDOSO C. et MÉRIAUX M., « Inventaire B COM BAH, Bureau des activités humanitaires 1939-1966 » in docplayer.fr, 2006, consulté le 23 février 2016
[vi] KERN G., Cinquante ans d’émissions radiophoniques au service de la Croix-Rouge, Genève, 2007
[vii] (1971). The Red Cross Broadcasting Service. International Review of the Red Cross, 11, pp 615-616 doi:10.1017/S0020860400080256
[viii] Ibid.
[i] A. Scherrer, « Reding, Rodolphe de », in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), url : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F30252.php, version du 11.08.2010
[ii] CARDOSO C. et MÉRIAUX M., « Inventaire B COM BAH, Bureau des activités humanitaires 1939-1966 » in docplayer.fr, 2006, consulté le 23 février 2016
[iii] BIENER H., « Red Cross Broadcasting Service (RCBS) » in Radio for Peace, Democracy and Human Rights, 01.2006, consulté le 23 février 2016
[iv] ROUILLER J., « Radio-Genève, souvenirs » in rts.ch, 02.12.1970, consulté le 23 février 2016
[v] LAGRANGE J., « Mon histoire de la Radio Suisse Romande » in notrehistoire.ch, 08.2012, consulté le 23 février 2016
[vi] ROUILLER J., « Radio-Genève, souvenirs » in rts.ch, 02.12.1970, consulté le 23 février 2016
[vii] LAGRANGE J., « Mon histoire de la Radio Suisse Romande » in notrehistoire.ch, 08.2012, consulté le 23 février 2016
[viii] COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE, « L’Agence centrale des prisonniers de guerre » in Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (1er septembre 1939 – 30 juin 1947), p.91, 1948, consulté le 23 février 2016
[i] (1971). The Red Cross Broadcasting Service. International Review of the Red Cross, 11, pp 615-616 doi:10.1017/S0020860400080256
[ii] Auteur inconnu, « L’Europe ruinée à la fin de la Seconde Guerre mondiale » in cvce, 17.09.2012, consulté le 23 février 2016
[i] KERN G., Cinquante ans d’émissions radiophoniques au service de la Croix-Rouge, Genève, 2007
[ii] (1971). The Red Cross Broadcasting Service. International Review of the Red Cross, 11, pp 615-616 doi:10.1017/S0020860400080256
[iii] Contributeurs à Wikipédia, « Postes, téléphones, télégraphes (Suisse) » in Wikipédia, l’encyclopédie libre, 2015, consulté le 23 février 2016
[iv] K. Kronig, « Postes, téléphones et télégraphes (PTT) », in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), url : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F27154.php, version du 30.03.2012
[i] UNION INTERNATIONALE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, « Conférence de presse à l’occasion de la Journée mondiale des télécommunications » in Journée Mondiale des Télécommunications, 1997, consulté le 25 février 2016
[ii] BIENER H., « Red Cross Broadcasting Service (RCBS) » in Radio for Peace, Democracy and Human Rights, 01.2006, consulté le 23 février 2016
[iii] KERN G., Cinquante ans d’émissions radiophoniques au service de la Croix-Rouge, Genève, 2007
[iv] Ibid.
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