Deuxième épisode du Voyage à haut risque sur l’Atlantique. Retrouvez ici le premier épisode.

La troisième passagère du SS Afric Star s’appelle Sheilagh Jagoe.

L’histoire de cette jeune femme est particulièrement romanesque. Sheilagh est née dans une famille britannique vivant en Argentine. Après des études en Angleterre, elle travaille comme secrétaire dans l’hôpital britannique de Buenos Aires et est fiancée. Cependant, sa mère n’approuve pas cette future union et la persuade d’aller passer une année en Angleterre avec elle avant de se marier. Sheilagh accepte et s’installe donc avec sa mère et sa sœur aînée près de Londres. Elle s’engage au sein du Bomber Command de la Women’s Auxiliary Air Force. Les femmes du Bomber Command travaillaient sur les  bases militaires. Leurs tâches étaient très variées : chargement de bombes, contrôle du trafic aérien, traçage, création de cartes.

Après un an d’activité, elle décide de rentrer en Argentine, prête à se marier. Le 1er décembre 1940, elle embarque à bord du cargo M.V. Brittany depuis Liverpool. Le hasard lui fait rencontrer Donald Orde, le Premier officier de bord.

Photo de D. Orde, ORDE, W.D.D., First prize for Signals : a life on the seas and overseas, 2000.

Les deux jeunes gens  tombent amoureux durant le voyage.

Donald Orde relate cette rencontre dans ses mémoires First prize for Signals : a life on the seas and overseas.

Couverture du livre de ORDE, W.D.D., First prize for Signals : a life on the seas and overseas, 2000.

A son arrivée à bord, Sheilagh ne passe pas inaperçue car elle est d’une grande beauté.

Photo de Sheilagh Jagoe, archives personnelles de Caroline Slack

Durant le voyage, le temps se gâte et Donald est très occupé par ses fonctions de surveillance. Cela ne l’empêche pas d’apercevoir Sheilagh qui se promène sur le pont malgré le mauvais temps.

Un hasard malheureux va finalement leur permettre de se rapprocher. Le second du capitaine, personnage très charismatique, a un accident sur le pont et se casse la jambe. Sa cabine devient le lieu de sociabilité du bateau. Donald, chargé de la pharmacie de bord, est très souvent appelé à son chevet et y croise Sheilagh à plusieurs reprises. Quelques jours plus tard, ils se rencontrent un soir sur le pont et Donald lui avoue ses sentiments. Il lui dit aussi qu’il l’aurait demandé en mariage si elle n’avait pas déjà été fiancée. Sheilagh, également sous le charme, l’encourage à faire sa demande.

Le cargo arrive à Rio de Janeiro et Sheilagh écrit une lettre à son fiancé pour l’informer de son désir d’épouser Donald. Les quelques jours à Rio leur permettent de mieux se connaître et de confirmer leur décision.

Après dix jours passés à Buenos Aires, l’officier reprend son voyage sur le M.V. Brittany. Après quelques préparatifs, Sheilagh s’embarque à son tour pour rejoindre l’Angleterre et son fiancé. Elle est certaine de retrouver Donald au plus vite.

C’est à ce moment-là qu’elle monte à bord de l’Afric Star pour commencer une nouvelle vie, aussi pleine d’espoir que le couple Evans.

Elle vit également l’attaque du Kormoran comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. Retrouvez le récit complet de cette attaque dans le premier épisode du Voyage à haut risque sur l’Atlantique.

Des années plus tard, dans une lettre adressée à sa petite-fille, Sheilagh raconte son expérience avec de nombreux détails. Elle explique que lors de leur transfert sur le bateau allemand, les prisonniers ont perdu toutes leurs affaires. Joan et elle demandent donc des vêtements de rechange aux Allemands. Elles reçoivent des rideaux de chintz et des housses de chaise récupérés sur un bateau anglais que les Allemands viennent d’arraisonner. Elles s’efforcent alors d’utiliser le tissu pour faire des vêtements mais le résultat ne s’apparente pas vraiment à de la haute couture. Les repas se résument à des œufs car le bateau anglais en question en était rempli.

Transférées sur le Nordmark, puis sur le Portland, elles sont toujours les deux seules femmes à bord et espèrent être sauvées par la Marine anglaise. Mais leur souhait n’est pas exaucé. Arrivée à Bordeaux avec Joan, Sheilagh s’efforce de la consoler de la mort de son époux, tout en étant elle-même terrorisée par son propre destin.

Fiche de demande concernant Sheilagh Jagoe, ACICR C G2 GB, Fichier britannique

Fiche de renseignement concernant Sheilagh Jagoe, ACICR C G2 GB, fichier britannique

Quittant la France en train, les prisonnières, qui sont maintenant accompagnées de huit autres internées, sont transférés à Bremevörde, puis au Stalag X B près de Sandbostel. Le camp est prévu pour les prisonniers de guerre masculins et les demandes des internées semblent parfois compliquer l’organisation des Allemands. Ainsi, les prisonnières sont escortées par de nombreux gardes pour aller jusqu’au bâtiment des douches.

Le 19 avril 1941, elles quittent le Stalag X B. Transférées ensuite de prison en prison (huit en tout selon Sheilagh), détenues dans des conditions difficiles et mal-nourries, elles arrivent finalement au camp d’internement de Liebenau, près de Tettnang et du lac de Constance le 12 mai 1941. Le camp de Liebenau est déjà occupé par environ 150 internées à leur arrivée.

Selon Sheilagh, les internées s’efforcent de vivre le plus normalement possible malgré la surveillance constante des gardes allemands. Elle mentionne l’importance des colis de la Croix-Rouge qui permettent d’améliorer l’ordinaire. Les internées organisent différents cours de langues.

A la naissance de Frances, la fille de Joan, elle devient sa marraine.

Libérée en novembre 1942 lors du même échange de prisonniers que Joan et Frances, elle est rapatriée en Angleterre en avril 1943. Entre Durban et l’Angleterre, son convoi est attaqué par les sous-marins allemands mais heureusement sans dommage pour le bateau à bord duquel elle voyage.

Elle retrouve enfin Donald et l’épouse trois semaines après son retour le 27 avril 1943.

Avec la distance géographique et les aléas de la vie, Joan et Sheilagh se perdent totalement de vue. Sheilagh parle rarement de son expérience traumatisante sur l’Afric Star. Selon le témoignage de sa fille Caroline, elle n’a jamais réussi à lire le livre de Frances Evans, Quiet endurance.

Les deux époux auront quatre enfants et formeront un couple solide jusqu’à leur mort.

 

Un grand merci à Caroline Slack, la fille de Sheilagh, pour sa confiance.