Il y a trois ans, fuyant les violences dans le Kasaï, Thérèse* a été violée. Prise en charge à Bukavu par le docteur Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », la jeune fille a survécu aux conséquences infectieuses d’un accouchement difficile. Le CICR de son côté, lui a apporté un soutien de tous ordres, du rétablissement des liens familiaux à la sécurité économique. Parcours d’une victime de violence sexuelle dans un conflit armé.

Thérèse pensait avoir échappé à la violence des combats. Elle était parvenue à mettre 80 kilomètres entre elle et son village d’origine au cœur des violences dans le Kasaï de 2017. Toute la région s’était embrasée. Mais c’est là où elle se pensait en sécurité que trois hommes la violèrent. Thérèse a survécu. De ce traumatisme, terrible, tant physique que psychologique, est né un enfant. Le difficile accouchement a laissé des séquelles infectieuses importantes impossibles à traiter sans hospitalisation adaptée.

In fine, Thérèse et son bébé s’en sont sortis mais, comme la plupart des mères d’enfants nés de viols, elle s’est retrouvée stigmatisée, exclue, y compris de sa propre communauté, condamnée à vivre à la marge. Aujourd’hui, soit trois ans plus tard, la jeune mère caresse l’espoir de voir disparaître son statut de paria. Elle l’affirme : « Je ne m’éloigne plus des autres. Certaines personnes viennent à moi, curieuses finalement du miracle que j’incarne ».

Le temps où elle ne pouvait compter sur aucune aide ni considération s’éloigne enfin. Sans famille – plus de nouvelle de sa mère et de sa sœur ; quant à son père, il a été tué dans les affrontements dans le Kasaï – « Je n’avais d’espoir en rien. J’attendais simplement la mort ».

L’espoir renaît

Et puis le hasard. Une connaissance de la jeune mère informe une équipe du CICR en mission dans le village de la situation de Thérèse. La première chose que souhaite la jeune femme est de savoir ce que sont devenus ses proches, en priorité sa mère et sa sœur. Se met alors en branle la mécanique du « rétablissement des liens familiaux ». Le service des recherches du CICR épaulé par la Croix-Rouge de RDC amorce le travail de fourmi qui aboutira en juin 2020 !

Les retrouvailles entre Thérèse et sa mère se font dans les larmes, de joie pour une fois. En revanche, à ce jour, aucune nouvelle de la grande sœur.

Bien qu’ayant pu renouer avec sa mère et son village, Thérèse a subi la stigmatisation des femmes violées. « Personne ne s’approchait de moi », se souvient-elle. « On disait que j’attirais le mauvais sort, que je devais me repentir. Comme si ce qui m’était arrivé était de ma faute ! Ma mère était désespérée du comportement des autres à mon égard. Elle a voulu se suicider. »

Des patientes survivantes de violences sexuelles se tiennent ensemble dans la cour de l’Hôpital de Panzi, à Bukavu. Didier Revol/CICR

« L’Homme qui répare les femmes »

Les séquelles de l’accouchement deux ans auparavant auraient nécessité une prise en charge dans les plus brefs délais. Mais ce ne fut pas possible, si ce n’est pour cette année en raison des mois de restriction de déplacement dus à la pandémie de Covid-19.

L’état de Thérèse nécessitant une hospitalisation, le CICR parvint finalement à l’évacuer vers l’Hôpital de Panzi où travaille le docteur Muckwege, « l’homme qui répare les femmes », prix Nobel de la Paix 2018, spécialiste en chirurgie gynécologique réparatrice.

« Beaucoup pensaient pas que je ne survivrais pas », avoue-t-elle. Après quatre mois d’hospitalisation, l’état de la jeune mère fut jugé satisfaisant, l’infection d’abord sous contrôle est enfin disparue suivie de la reprise du cycle menstruel. Thérèse, sous traitement antibiotique a enfin pu rejoindre sa mère en novembre dernier.

« J’ai repris goût à la vie »

Petit à petit revient le goût à la vie. Malgré tout, Thérèse continue de subir l’ostracisme de son environnement qui plus est majoré par son incapacité d’autonomie financière. Pour beaucoup de femmes martyres, la prostitution devient alors le seul moyen de survie. C’est ainsi que le CICR, dans le cadre de ses programmes d’assistance économique, a offert à Thérèse un téléphone portable, une formation en gestion pour développer un petit commerce et un soutien financier.

Dans cette vidéo de 2012, le personnel médical de l’Hôpital de Panzi explique les terribles conséquences physiques et psychologiques de la violence sexuelle.

Dès qu’elle sera parfaitement rétablie et n’aura plus besoin de l’aide de sa mère, Thérèse pourra enfin envisager l’avenir. Elle entend reprendre des études. Son rêve, la confection de vêtements : « Je me sens de plus en plus forte, j’ai repris goût à la vie.»

*Nom d’emprunt


Docteur Denis Mukwege

Le Docteur Denis Mukwege, 65 ans, gynécologue et militant des droits de l’homme congolais, est surnommé « l’homme qui répare les femmes ». Le prix Sakharov en 2014 et le prix Nobel de la paix en 2018 sont venus couronner le travail de toute une vie dédiée à la lutte contre les violences sexuelles. Il œuvre actuellement à l’Hôpital général de référence de Panzi, dans la province du Sud-Kivu, dans l’Est de la RDC. Cette structure médicale est connue pour son expertise dans le traitement des pathologies gynécologiques, en particulier les troubles de la reproduction et les blessures dues aux violences sexuelles, ainsi que le traitement holistique des survivantes de violences sexuelles. Le CICR entretient une collaboration permanente avec le docteur Mukwege depuis plus de 20 ans. Dès 1997, à l’hôpital de Lemera où ce dernier était médecin directeur, les chirurgiens de guerre du CICR ont aidé des milliers des femmes à se remettre de leurs blessures. Cette coopération se poursuit encore aujourd’hui à l’Hôpital général de Panzi, où le CICR a référé en 2002 la toute première patiente suivie par le docteur Mukwege.