La Xe Conférence internationale de la Croix-Rouge s’ouvre à Genève le 30 mars 1921. A l’initiative du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), elle réunit les représentants des Sociétés nationales du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (ci-après le Mouvement) et des gouvernements des États parties aux Conventions de Genève. Cela fait alors près d’une décennie qu’une telle réunion n’a pas eu lieu, après une IXe édition tenue à Washington en 1912. Depuis, la Première Guerre mondiale a fait l’effet d’une onde de choc au sein du Mouvement. Nombre de volontaires sont venus rejoindre ses rangs, de nouvelles Sociétés nationales se sont créées. Au travers de son Agence internationale des prisonniers de guerre, le CICR a fait ses preuves en tant qu’organisation de secours internationale. Sur le plan du droit international humanitaire dont il s’est fait le gardien, les apports, limites et failles des Conventions de Genève en vigueur sont apparus plus clairement.
Les enjeux de la Conférence sont de taille pour le CICR. En réunissant les opposants d’hier autour d’une même table, il vise à tirer les enseignements de la récente guerre pour développer le droit qui protège les victimes des conflits, et réaffirmer l’universalité et la cohésion du Mouvement. Il devient également urgent de formaliser son action en temps de paix et de réaffirmer les prérogatives de chaque acteur en son sein, en comptant avec les nouveaux arrivants, y compris les plus encombrants, comme la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge fondée en 1919 par les Sociétés nationales des pays vainqueurs. Et, si les acteurs se multiplient, les besoins humanitaires ne faiblissent pas, tout particulièrement dans l’Europe centrale et orientale aux prises avec la famine et les épidémies.
En croisant les sources des différents fonds et collections des archives – en particulier audiovisuelles – et de la bibliothèque du CICR autour de la Conférence internationale de 1921, cet article vous propose quelques pistes pour (re)découvrir quelques-uns des acteurs et enjeux de cette période charnière.
Des mots et des images
Début 1921, faisant preuve d’un véritable esprit novateur – rappelons que le cinéma était encore un art neuf, inventé vingt-cinq ans auparavant – le Comité passe commande de quatre films dans le but de les projeter lors de la Conférence internationale de la Croix-Rouge qui doit se tenir à Genève du 30 mars au 7 avril.
Les membres du Comité ont bien compris que le cinéma était un outil de propagande – de communication, dirions-nous aujourd’hui ! – capable de jouer un rôle déterminant dans le succès d’une campagne visant à faire connaître les activités du CICR et à réaffirmer sa position centrale au sein du Mouvement, et plus largement du monde de l’humanitaire au sortir de la Première Guerre mondiale.
Ces quatre films sont produits en un temps record. Leurs sujets reflètent les activités du CICR de l’époque : le rapatriement des prisonniers de guerre à travers la mer Baltique, la lutte contre le typhus en Pologne, le secours aux enfants hongrois à Budapest et l’assistance aux réfugiés russes de Constantinople. Sujets lointains qui pourtant font étonnamment écho à ceux d’aujourd’hui.
C’est le samedi 2 avril 1921 à 21 heures, dans une salle du Bâtiment électoral, à deux pas de la Place de Neuve, qu’a lieu la première. A en croire les comptes-rendus de l’époque, les films ont fait forte impression sur le public, en grande partie composé des participants à la Conférence.
Cette première projection, commentée par un délégué – rappelons qu’alors les films étaient muets -, est précédée par un apéritif offert par le CICR. S’il est impossible de connaître l’influence que ces films ont eue sur les participants, les résolutions adoptées lors de cette Conférence sont satisfaisantes pour le CICR qui obtient la reconnaissance de ses activités en temps de paix et la confirmation de toutes ses prérogatives au sein du Mouvement.
Pour en savoir plus : mettez-vous dans la peau des spectateurs d’il y a 100 ans en visionnant ces quatre films et regardez ce petit documentaire sur les origines des films du CICR.
Et à travers la photographie
« Ni rivalité, ni monopole dans l’exercice de la charité » : opérations de secours et coordination humanitaire dans l’après-guerre
Lorsque s’ouvre la Conférence, le CICR est célébré pour son action pendant la Première Guerre mondiale, mais souffre d’un manque de ressources et de la concurrence de la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge nouvellement fondée. On parle de l’ « internationaliser » ; un projet suédois en ce sens est soumis en amont de la Conférence. Un vent nouveau souffle sur le Mouvement, qui attend des réponses sur le partage des attributions entre la nouvelle Ligue et le CICR déjà cinquantenaire. Le Comité international sis à Genève serait-il devenu obsolète ? Le CICR se défend d’abord en rappelant l’importance de sa neutralité, liée à la neutralité suisse. Et l’un des rebondissements majeurs de la Conférence se prépare hors champ : la signature en coulisses d’un accord réglant pour un an les rôles respectifs de la Ligue et du CICR. Gustave Ador, qui préside le CICR et la Conférence, annonce la nouvelle lors de la séance plénière du 1er avril 1921. Les applaudissements fusent ; l’orage est passé. Les interventions en faveur du Comité international, saluant son action pendant la guerre, s’enchaînent. Finalement, le rapport de la commission consacrée à l’« Organisation internationale de la Croix-Rouge », où siègent les présidents des Sociétés nationales les plus influentes, prend la forme d’un véritable témoignage de confiance au CICR. Les changements entrevus sur la composition du CICR ou ses prérogatives sont écartés, son action en temps de paix approuvée. La Conférence « émet le vœu qu’il soit suffisamment subventionné pour pouvoir continuer son œuvre », y compris par les Sociétés nationales. Peut-être cette conclusion est-elle facilitée par les circonstances ; le CICR est à la fois l’hôte et le chef d’orchestre d’une Conférence qui se joue sur son terrain, à Genève.
Il n’en reste pas moins qu’il faut compter avec les nouveaux arrivants. Dans les films qu’il présente aux participants à la Conférence internationale, le CICR n’agit pas seul. Presque systématiquement, ce sont des actions de secours conjointes – avec l’Union internationale de secours aux enfants, la Société des nations ou la Croix-Rouge américaine – qui sont mises en avant.
Les participants à la Conférence sont peu divisés sur la question de la coordination avec les organisations philanthropiques et internationales indépendantes du Mouvement. Un consensus émerge autour de la nécessité de solliciter l’appui de la toute jeune Société des Nations et de travailler avec les autres organisations de secours.
Certaines sont d’ailleurs représentées à la Conférence à titre d’invité, comme Eglantyne Jebb, qui a fondé l’année précédente avec le soutien du CICR l’Union internationale de secours aux enfants (UISE). Ici, la collaboration est déjà établie ; les délégués CICR présents en Europe centrale organisent la distribution des secours collectés par l’UISE.
Au terme des discussions, l’on convient que « la Croix-Rouge, par son caractère essentiellement humanitaire, étranger à toute préoccupation politique, nationale, sociale, confessionnelle ou autre, [est] particulièrement bien placée pour servir de centre » aux actions philanthropiques dont il est nécessaire de développer la coordination, comme l’avait proposé le CICR. Cette responsabilité incombera aux différentes Sociétés nationales du Mouvement sur le plan national, et au CICR et à la Ligue à l’échelle internationale. Dans le cas du CICR, cette résolution se concrétise par exemple par la collaboration avec Fridtjof Nansen de la Société des Nations pour le rapatriement des prisonniers de guerre, l’aide aux réfugiés russes et la lutte contre la famine en Russie dans les années 1920.
Les participants à la Conférence se montrent plus divisés sur les mesures à adopter pour encadrer les activités des Sociétés nationales hors de leur territoire. La forte croissance des activités internationales de certaines Sociétés nationales – comme les Croix-Rouges américaine, italienne ou grecque – engendre quelques appréhensions et tensions.
La question des relations entre la Croix-Rouge d’un pays et les sections de Croix-Rouge étrangères actives sur son territoire s’avère délicate. Faut-il limiter l’action d’une Société nationale à ses ressortissants, y compris en territoire étranger, et l’empêcher de lever des fonds hors de son territoire ? Le rapport de la IVe Commission propose tout d’abord qu’une Croix-Rouge étrangère ne puisse s’établir sur le territoire d’un pays qu’à condition de se consacrer à ses propres citoyens. M. Guyot, représentant de la Croix-Rouge suisse, s’insurge « Comment peut-on concevoir, par exemple, une ville dans laquelle existeraient en même temps un dispensaire antituberculeux français pour les tuberculeux français, un dispensaire italien pour les tuberculeux italiens, un dispensaire allemand pour les tuberculeux allemands, un dispensaire suisse pour les tuberculeux suisses ? »
Au final, on retiendra pour la résolution de la Conférence une formulation moins définitive : « aucune section ou délégation étrangère (…) ne doit se constituer ou se produire sur terre étrangère sans l’agrément du Comité central de la Société nationale et du Comité central de son pays d’origine, notamment en ce qui concerne l’usage du nom et du signe de la Croix-Rouge. Les Comité centraux sont invités à accorder cet agrément dans la plus large mesure lorsqu’il sera avéré que la section étrangère travaille exclusivement auprès de ses compatriotes ».
Pour en savoir plus : retrouvez toute la documentation numérisée de la Conférence internationale de 1921 sur l’organisation du Mouvement et son action en temps de paix.
Et à travers la photographie
Le Mouvement et la guerre civile : les suites de la Révolution russe
On dénombre trois grands absents lors de la Conférence internationale de 1921. Ce sont d’abord les Croix-Rouges belge et française. « Seules des considérations tirées des circonstances politiques non encore élucidées entre leurs gouvernements et l’Allemagne les obligent à s’abstenir », transmet Gustave Ador à l’Assemblée. Le cas de la Croix-Rouge russe est plus délicat encore. La Société nationale a été dissoute, puis reformée suite à la Révolution de 1917. L’ancienne organisation est représentée à la Conférence par M. Czamansky et le Dr Lodygensky, en tant qu’invités. Quant à la nouvelle organisation, désignée comme la Croix-Rouge des Soviets, Ador annonce qu’elle n’a pas donné suite à son invitation. Un télégramme de son président le Dr Solovieff apporte un rebondissement nouveau: il se plaint de n’avoir reçu qu’une invitation à titre personnel et non à titre officiel. Ador explique en retour la position du Comité international : il attend le rétablissement des relations entre le CICR et la Croix-Rouge des Soviets, notamment l’autorisation pour ses délégués d’entrer sur le territoire soviétique, pour reconnaître officiellement la nouvelle organisation. L’assemblée approuve et peine à dissimuler une certaine sympathie pour la cause des représentants de l’ancienne Croix-Rouge russe.
Loin de se limiter à une question de protocole, la situation de la Croix-Rouge russe influence la tournure des débats. La troisième commission de la Conférence est en effet chargée de se pencher sur la question délicate du rôle de la Croix-Rouge dans les guerres civiles. Les Croix-Rouges allemande, finlandaise, polonaise, italienne, russe (ancienne organisation), portugaise, ukrainienne et le Croissant Rouge ottoman soumettent leurs rapports. En 1912, lors de la précédente Conférence internationale, les délibérations à ce sujet n’avaient pas abouti. La question est risquée ; les Etats s’opposent à tout développement menaçant de conférer aux insurgés sur leur territoire une protection comparable à celle des forces armées ennemies. L’idée d’un droit international s’appliquant aux conflits internes a encore un long chemin à faire. La commission consacrée à la révision de la Convention de Genève écarte d’ailleurs la question d’office : « il a été reconnu que [l’extension de la Convention à la guerre civile] était impossible, étant une affaire d’ordre législatif intérieur. Tout au plus pourrait-on recommander à un Etat de décréter sur son territoire l’application de la Convention en cas de guerre civile. Cette recommandation n’a pas même paru désirable. »
Mais la commission qui se consacre au mandat du Mouvement en cas de guerre civile se montre plus novatrice, même si elle avance avec précaution et quantité d’adjectifs. « L’intervention en temps de guerre civile d’une Société de Croix-Rouge étrangère ou du CICR constitue un problème extrêmement complexe, délicat et périlleux », déclare son rapporteur. Le CICR, dont on ne pense définitivement plus à se passer, hérite alors d’une attribution nouvelle. Il est chargé de seconder la Société nationale d’un pays en proie à la guerre civile si elle ne peut faire face seule à tous les besoins de secours, et de s’y substituer complètement si elle devait être dissoute. En 1936, lorsqu’éclate la guerre civile espagnole, c’est sur cette résolution que le CICR pourra appuyer son intervention.
Ce pas en avant n’est certainement pas sans lien avec le plaidoyer du Dr Lodygensky de l’ancienne Croix-Rouge russe. Il parvient également à faire dans un premier temps adopter par l’assistance une résolution stipulant entre autres « que les détenus politiques en temps de guerre civile doivent être considérés et traités par les partis belligérants comme des prisonniers de guerre ». A la demande des Croix-Rouges allemande, finlandaise, suédoise, suisse et lettonne, le passage est révisé le lendemain. La résolution finale stipulera que « les détenus politiques en temps de guerre civile doivent être considérés et traités selon les principes qui ont inspiré les rédacteurs de la Convention de La Haye de 1907 ».
Pour en savoir plus : retrouvez toute la documentation numérisée de la Conférence internationale de 1921 autour de la guerre civile.
Vers une Convention de Genève dédiée à la protection du prisonnier de guerre
Lorsque les participants à la Xe Conférence internationale se retrouvent à Genève, les hostilités sont terminées depuis bientôt trois ans. Les prisonniers de guerre n’ont cependant encore pas tous pu regagner leur patrie. Depuis 1919, le CICR s’active pour résoudre le problème des prisonniers dont le rapatriement n’est pas prévu par les accords internationaux, à l’instar des milliers d’hommes bloqués en Sibérie. Avec Fridtjof Nansen, nommé Haut-commissaire aux prisonniers de guerre par la Société des Nations, il parvient à organiser le transport des anciens prisonniers par la mer Baltique. Les images de l’opération tournées à Stettin (Allemagne, aujourd’hui en Pologne) et à Narva (Estonie), là où transitent les anciens prisonniers, sont montrées aux participants à la Conférence.
Si ces images rappellent l’actualité et l’acuité du problème, les cartons insistent sur la durée de la captivité et du retour. Le CICR se préoccupe depuis des années des conséquences dramatiques de la captivité prolongée sur la santé physique et psychique des prisonniers. Limiter sa durée à trois ans pour tous les prisonniers, interdire les représailles, prévenir les mauvais traitements : le CICR s’attelle à la fin du conflit à la rédaction d’un Code du prisonnier de guerre – premier pas vers l’adoption d’une Convention de droit international dédiée à la protection du prisonnier de guerre.
En prévision de la Conférence, l’on fait paraître ce Code dans les pages de la Revue internationale de la Croix-Rouge, qui fait alors office de bulletin d’information distribué aux Sociétés nationales du Mouvement. En préambule, le CICR note que : « si la guerre ne s’était pas prolongée au-delà de toutes les prévisions, (…) [l’] insuffisance et [la] fragilité des conventions internationales auraient passé presque inaperçues, et que l’urgence d’en réviser les textes – notamment en ce qui concerne le traitement du prisonniers – n’aurait pas été démontrée comme elle l’est aujourd’hui ». En réponse, les Croix-Rouges suédoise, allemande, française, espagnole et italienne soumettent également à la Conférence leurs conclusions sur le sort des prisonniers de guerre et leur protection juridique. La seconde commission de la Conférence a pour mission de se pencher sur ces textes.
A défaut de préparer le texte de la Convention envisagée, tâche qui sera confiée à une commission de spécialistes, la seconde commission entérine une série de principes centrés sur le respect de l’intégrité du prisonnier et de ses droits civiques, l’égalité de traitement et la non-discrimination, l’interdiction des représailles et la limitation de la durée de la captivité. Elle suit en cela les grandes lignes du projet du CICR. A ce dernier, elle reconnaît un rôle clé dans la centralisation des renseignements et des secours, et propose qu’il serve de contrôle neutre pour garantir le respect de la future Convention. La Conférence diplomatique envisagée est convoquée finalement huit ans plus tard pour adopter la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre du 27 juillet 1929, première mouture de l’actuelle troisième Convention de Genève. Il s’agit du premier texte de droit international dans lequel apparaît le nom du CICR. La Convention lui reconnaît le droit de se charger de l’agence centrale d’information sur les prisonniers qui doit être fondée en pays neutre en temps de guerre et de proposer ses bons offices aux belligérants.
Pour en savoir plus : regarder ce court documentaire sur le rapatriement des prisonniers de guerre et retrouvez toute la documentation numérisée de la Conférence internationale de 1921 autour de la protection juridique des prisonniers de guerre.
Et à travers la photographie
Et aussi : l’assouplissement du blocus pour les vivres et médicaments destinés aux enfants, malades et personnes âgées, l’examen des violations de la Convention de Genève pendant la guerre, la formation des infirmières… Explorez les autres thématiques de la Conférence internationale de 1921 au travers de notre collection de documents numérisés.
Le regard de l’historien, par Daniel Palmieri
La Xe Conférence internationale de la Croix-Rouge est un événement important à bien des égards. C’est tout d’abord le premier rendez-vous international à vocation non politique où vainqueurs et vaincus de la Grande Guerre siègent ensemble. Seuls les Belges et les Français refusent de s’y faire représenter. Ensuite, la Xe Conférence se tient à Genève, berceau de la Croix-Rouge et du CICR, son initiateur, et devenue la « capitale du monde » en accueillant le siège de la toute nouvelle Société des Nations. La réunion Croix-Rouge sera donc médiatisée. Enfin, c’est la première conférence où le CICR doit partager sa position privilégiée d’observateur-acteur avec un nouveau venu – et concurrent – dans le monde de la Croix-Rouge : la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge.
La Xe Conférence se démarque également des précédentes en proposant des séances de cinématographe. Et c’est à cette occasion que le CICR présente au public ses tout premiers films.
Filmer le terrain
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le CICR est engagé dans une vaste opération de rapatriements des prisonniers de guerre du front oriental (Russes, Autrichiens, Hongrois et Allemands). Pour ce faire, il installe pour la première fois de son histoire des délégations dans différentes villes est-européennes, ainsi qu’à Constantinople. Bénéficiant d’une présence permanente sur le terrain, le CICR est en mesure d’y documenter précisément la situation, ainsi que ses activités humanitaires. Il saisit cette opportunité et télégraphie à ses délégués à Narva (Estonie), Budapest, Varsovie et Constantinople pour qu’ils filment l’action déployée par l’institution dans chacun de ces contextes. C’est le résultat de ces démarches qui est projeté lors de la Conférence internationale.
Il faut d’emblée signaler que ces documentaires auraient certainement été tournés, indépendamment de la Xe Conférence. Ils rentrent dans un effort plus général du CICR pour se faire connaître du grand public, suisse avant tout. A cet effet, une « Commission de propagande » a été créée au sein de l’institution à la fin de la Première Guerre mondiale. Elle envisage l’emploi massif de la presse comme du cinéma pour s’attirer les sympathies, également monétaires, de l’opinion publique. Il faut dire que celle-ci ignore largement l’implication du CICR dans l’Europe troublée de l’après-guerre. Le public par ailleurs confond l’institution plus que cinquantenaire avec la toute jeune Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge créée en 1919, pensant de surcroît que cette dernière a remplacé la vénérable organisation fondée par Henry Dunant et Gustave Moynier. Montrer que le CICR existe encore et toujours, et surtout qu’il continue d’agir devient par conséquent une question de survie.
Vues passées du présent
En visionnant ces quatre documentaires, on ne peut être qu’étonné de l’actualité de leur contenu. Le typhus nous renvoie bien évidemment à l’actuelle crise sanitaire du COVID-19, tandis que la crise actuelle des migrants rappelle ces réfugiés russes cantonnés dans les années 1920 dans l’agglomération stambouliote. Quant aux enfants, ils restent non seulement une préoccupation majeure des organisations humanitaires, mais aussi, depuis la Première Guerre mondiale, la figure iconique de la souffrance liée en particulier à la violence armée. Tout aussi surprenant est le fait que, bien qu’elle soit à l’époque au cœur du mandat du CICR et qu’elle ait servi, au travers de ses conséquences (rapatriements des prisonniers) en quelque sorte de prétexte à leur tournage, la guerre internationale n’a qu’une présence limitée dans ces courts-métrages. Cette relative absence semble déjà préfigurer l’évolution du fait guerrier lui-même, avec une raréfaction des conflits armés internationaux au profit de guerres civiles, de troubles intérieurs ou des autres situations conflictuelles, dès la seconde moitié du 20e siècle.
Mieux, les premiers films du CICR portent déjà dans leurs gènes les caractéristiques de ce que va être par la suite le cinéma dit « humanitaire », soit une façon de documenter des catastrophes humaines ou naturelles, dans le but d’obtenir essentiellement un soutien financier et ainsi de prendre l’avantage sur de potentiels concurrents. En réalisant ses premières productions en 1921, le CICR faisait déjà tout cela à la fois. Mais en plus il innovait en montrant qu’il savait, lui aussi, utiliser une technologie somme toute récente comme pouvait l’être le cinéma, et qu’il n’était donc pas une organisation passéiste, à reléguer dans un musée, comme semblait le penser la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge. Ainsi, les quatre films de 1921 font aussi un pied de nez à l’idée répandue que l’innovation pour/chez les humanitaires est une nouveauté née de l’ère numérique.
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