Ciel bas et vilain crachin sur Penthaz en ce matin d’un 21 mars désormais lointain.
Lorsque nous sommes arrivés au centre d’archivage de la Cinémathèque suisse, Jean-Blaise Junod, cinéaste et restaurateur de film, Jean-François Pitteloud, archiviste-adjoint du CICR et moi-même, nous ne cachions pas une certaine excitation.
Quelques mois auparavant, en vérifiant des listes d’inventaire transmises par la Cinémathèque, institution auprès de laquelle sont déposés les fonds de films 35 et 16 mm du CICR, mon attention avait été attirée par cinq titres jusque là inconnus. Parmi eux, un certain Genève août 1923 : promenade des pins, Gustave Ador : musée Rath (CICR Suisse 1923) a immédiatement suscité mon intérêt, intérêt partagé par Jean-Blaise Junod dès qu’il eut connaissance de la « réapparition » fortuite de ce document.
Des images de Gustave Ador, nous en connaissions déjà puisque l’ancien président du CICR (1910-1928) est le personnage central du film Le Comité international de la Croix-Rouge à Genève : ses activités d’après-guerre réalisé en 1923 par Jean Brocher à l’occasion de la XIe Conférence internationale. Mais, après que des recherches approfondies ont été réalisées dans les archives du CICR par deux historiens, Lukas Straumann et Enrico Natale, nous pensions que les seules images existantes se trouvaient là.
Lorsque Carole Delessert, restauratrice de film à la Cinémathèque, commença de dérouler les 110 mètres de pellicule nitrate sur sa table de visionnement, offrant à nos regards attentifs des images inédites de Gustave Ador et des membres du Comité, nous avons immédiatement compris que nous venions de découvrir un document important.
On y voit, quelque cinq minutes durant, le Président saluer les membres du Comité à leur entrée dans la salle de réunion, et certains d’entre eux arriver ou repartir à pied de l’immeuble du 1 Promenade du Pin où siégeait alors le CICR. Et là, d’un coup, grâce à la redécouverte de cette petite bobine de pellicule nitrate oubliée pendant plus de quatre-vingt ans, les images animées de Gustave Ador se trouvaient multipliées par deux.
Comme il s’agit d’un négatif, les stricts costumes sombres de ces messieurs et le chapeau à voilette de Madame Chaponnière-Chaix, la seule femme du Comité, ont une étrange allure estivale : un blanc cassé qui convient bien à ce 6 juillet 1923 ! C’est en effet ce jour-là que « la première partie de la séance est consacrée à une cinématographie du CICR » (PV Séance du Comité du 6 juillet 1923). Derrière la caméra, Jean Brocher, un jeune cinéaste de 24 ans à qui le CICR vient de passer commande de son premier film. A l’origine, celui-ci était censé durer trois quarts d’heure. Au final, il ne dure que 3 minutes 35 secondes. Peut-être le projet initial était-il trop ambitieux en regard du matériel à disposition.
Mais pourquoi Jean Brocher n’a-t-il pas retenu ces images-là, pourtant plus vivantes que celles intégrées dans Le Comité international de la Croix-Rouge à Genève : ses activités d’après-guerre ? Pour tenter de le savoir, il faudrait replonger dans les archives en quête d’indices nouveaux. Parce qu’alors même que l’on croit avoir fait le tour d’un sujet, de nouveaux éléments surgissent qui viennent bousculer les certitudes.
Jusqu’au fameux inventaire dont j’ai entrepris la vérification à l’automne 2005, ces images n’apparaissaient sur aucune liste établie soit par le CICR, soit par la Cinémathèque. Aucune trace de cette bobine ni sur papier, ni sur les rayons du dépôt de Penthaz.
Conséquence de cette absence : ce négatif a échappé à l’expertise des films 35 mm du CICR établie par Jean-Blaise Junod en 1996 ainsi qu’à la restauration de ceux-ci menée entre 1999 et 2001 grâce au soutien de Memoriav, association pour la sauvegarde de la mémoire audiovisuelle suisse.
Une simple vérification attentive d’un inventaire, travail quotidien de l’archiviste, a permis de mettre à jour Genève, Promenade du Pin, juillet 1923, un petit trésor désormais accessible sur le portail des archives audiovisuelles du CICR. Même si l’on peut regretter qu’il ait, après avoir été développé, perdu un peu du charme étrange des origines.
Lorsque nous avons quitté Penthaz en fin d’après-midi ce 21 mars 2006, le soleil était revenu et la lumière était belle et prometteuse.
Commentaires