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Le respect des morts selon le droit islamique : analyse sous le prisme de l’action forensique humanitaire

Action humanitaire / Droit et conflits / Religion 25 minutes de lecture

Le respect des morts selon le droit islamique : analyse sous le prisme de l’action forensique humanitaire

Pendant un conflit armé, les spécialistes forensiques sont confrontés à de grandes difficultés pour assurer une gestion des morts digne et appropriée. Comme deux tiers des conflits armés contemporains se déroulent dans des pays musulmans, l’importance du droit islamique sur cette question ne doit pas être sous-estimée. Ce billet traite de certaines des difficultés rencontrées du point de vue du droit islamique, dans l’espoir de procurer quelques conseils aux spécialistes forensiques prenant en charge les dépouilles mortelles dans les pays musulmans.

Mort et dignité humaine

Dans de nombreuses civilisations, traditions et religions, anciennes et modernes, la mort n’est qu’un passage entre une étape de la vie et une autre[1] L’inhumation des morts est donc l’une des façons de veiller à la dignité et au respect des morts et de respecter la sensibilité de leurs proches. Tout au long de l’histoire, les religions, traditions et pratiques culturelles ont influencé la manière de traiter les morts, tant en période de conflit armé qu’en temps de paix, et continuent à le faire.

Dans l’islam, la dignité humaine est un droit que Dieu accorde à tous les êtres humains, présentés dans le Coran comme les vicaires de Dieu sur la Terre. L’islam octroie certains droits aux humains avant même leur naissance, et d’autres après leur mort. Qu’ils soient morts ou vivants, la dignité et le respect exigés, comprennent ceux du corps humain, créé par Dieu dans la forme la plus parfaite. Cette importance du corps humain est par exemple présente dans la sourate 5 :31 du Coran. Caïn ne sachant que faire du corps de son frère Abel qu’il avait tué, Dieu lui montra indirectement ce qu’il devait en faire en lui envoyant un corbeau qui se mit à gratter la terre pour enterrer un autre corbeau, montrant ainsi indirectement à Cain que faire du corps de son frère.

Confrontés à la difficulté de garantir une sépulture honorable aux dépouilles mortelles lors de conflits armés, d’autres situations de violence et de catastrophes naturelles, les juristes musulmans de l’époque classique ont élaboré des lois islamiques pour répondre à cette question. Ces lois visent à assurer le respect de la dignité des morts et permettent, autant que possible, de respecter la sensibilité des familles. La question de la dignité des morts a été soulevée dans les discussions des juristes musulmans de l’époque classique [2]concernant un certain nombre de questions dont certaines nous intéressent particulièrement pour le propos de cet article, notamment : la recherche et l’enlèvement des corps, les rites funéraires pour les musulmans et les non-musulmans, les délais dans lesquels les morts doivent être inhumés, l’exhumation des restes humains et l’immersion en mer.

Avant d’examiner ces questions, il est intéressant de noter que le droit islamique associe parfois des prescriptions purement juridiques à des considérations religieuses et/ou éthiques. Il en va de même pour la prise en charge des dépouilles mortelles. À titre d’exemple, les règles régissant l’enterrement et la sépulture, et même l’étiquette à observer lors des visites sur les tombes, sont traitées dans la littérature juridique islamique. Cette caractéristique est l’un des facteurs qui font que le droit islamique reste vivant et s’impose dans la pratique. Cela permet de garantir que les musulmans s’imposent volontairement ces règles et qu’ils continuent de les mettre en œuvre, même dans des domaines qui ne sont pas codifiés dans les systèmes juridiques des États musulmans et pour lesquels les tribunaux ne sont pas compétents. Cette caractéristique du droit islamique est révélatrice de l’énorme influence qu’il peut avoir sur le comportement en société. Comprendre ces règles islamiques peut aider à orienter les spécialistes forensiques humanitaires pour surmonter les difficultés rencontrées en respectant les besoins religieux des sociétés musulmanes lorsqu’ils conduisent des activités dans des pays musulmans. C’est une façon de montrer que le respect des morts est une préoccupation majeure que l’on retrouve aussi bien dans leur travail forensique que dans le droit islamique.

Recherche et enlèvement des corps

Le plus souvent, les personnes qui sont décédées restent dans les mémoires. Elles sont parfois encore vivantes dans le cœur et les pensées de leurs proches, mais aussi dans les récits historiques et ce, pour des décennies, des siècles voire pour toujours. Ainsi, dans la littérature historique islamique, on trouve une remarquable documentation, notamment les listes des victimes des premières batailles qui ont eu lieu du vivant du Prophète – essentiellement entre 624 et 632. Par exemple, comme le montre une recherche rapide sur Google, les archives historiques donnent les noms complets des 70 morts de la partie adverse et des quatorze victimes que les musulmans ont eu à déplorer à la bataille de Badr en mars 624 [3]. Un nombre similaire de morts est enregistré chez les musulmans à la bataille d’Uḥud en mars 625 [4]. Ces récits montrent que des femmes participaient notamment à la recherche des corps et au rapatriement des blessés et des morts dans les villes [5].

Les premières sources islamiques attestent d’une longue pratique des belligérants de rendre compte des morts, parfois de manière très détaillée [6].C’était visiblement la première obligation à remplir pour respecter les corps des martyrs. Comme nous le mentionnerons ci-après, les martyrs bénéficient d’un statut spécial en Islam. Leur héroïsme et leur sacrifice ont valu à l’islam de survivre et ont été portés à la connaissance des générations successives de musulmans jusqu’à nos jours. Par conséquent, ces récits sont encore étudiés aujourd’hui pour commémorer l’héroïsme et le sacrifice des premiers martyrs musulmans.

Rites funéraires

Le respect des dépouilles des défunts exigeait qu’on leur donnât une sépulture décente afin, premièrement, d’empêcher leurs corps d’être la proie d’animaux sauvages et, deuxièmement, de permettre aux familles et aux proches de venir se recueillir sur leurs tombes. Ces préoccupations restent valables aujourd’hui.

L’inhumation des défunts est une obligation qui incombe à toute la communauté musulmane (farḍ kifāyah) [7]. Autrement dit, c’est toute la communauté musulmane qui est coupable si le corps d’un musulman n’est pas enterré, à moins qu’elle ne puisse avoir connaissance du décès ou qu’elle soit dans l’incapacité d’y procéder.

Chaque mort doit être enterré dans une tombe individuelle : telle est la règle en droit islamique. Cependant, en cas de besoin, deux ou trois corps, ou même davantage si nécessaire, peuvent être enterrés dans la même tombe. Les tombes collectives, généralement pour les morts d’une même famille, sont courantes aujourd’hui dans de nombreux pays musulmans, simplement parce que les villages et les villes manquent d’espace pour les cimetières et qu’une tombe par mort reviendrait trop cher. À ce propos, il convient de noter que s’il y a plusieurs corps à enterrer, ceux-ci doivent être placés respectivement côte à côte avec suffisamment d’espace entre chaque dépouille. Aujourd’hui, c’est le procédé que suivent les spécialistes forensiques dans le cadre de leurs recherches. Il existe différents jugements islamiques réglementant la construction des tombes et les pratiques varient dans le monde musulman selon les cultures et traditions.

Sur ce point, il est important de souligner que les juristes musulmans de l’époque classique ont établi des règles distinctes pour les corps des shuhadā (martyrs, au singulier shahı̄d). Les deux batailles évoquées plus haut, celles de Badr en mars 624 et d’Uḥud en mars 625, sont à l’origine des précédents dont sont dérivées les règles régissant le traitement des corps des non-musulmans et des musulmans, essentiellement parce que c’est lors de ces deux batailles que les pertes ont été les plus fortes chez les musulmans et leurs ennemis, du vivant du prophète Mohammed.

La plupart des juristes musulmans – à l’exception principalement de Sa‘īd ibn al-Musayyab (mort en 712-713) et d’Al-Ḥasan al-Baṣrī (mort en 728) – s’accordent à dire que les trois règles suivantes ne valent que pour les martyrs.

Premièrement, il ne devrait pas y avoir de toilette rituelle pour le corps du martyr. La norme et la pratique ont été conformes à cette conception majoritaire pendant toute l’histoire de l’islam jusqu’à nos jours, bien qu’il y ait pléthore d’opinions divergentes parmi les docteurs de la loi sur ces trois règles, essentiellement à cause de rapports contradictoires sur des propos attribués au prophète Mohammed. Ibn al-Musayyab et Al-Basrı̄ se sont fondés essentiellement sur des considérations logistiques : ils ont fait valoir que les martyrs de la bataille d’Uḥud ont été enterrés sans la toilette rituelle à cause de l’impossibilité pratique de faire venir de l’eau de Médine dans le désert, en raison du grand nombre de corps [8]. Cependant, la majorité a recouru à diverses explications théologiques, arguant notamment que le fait d’enterrer les martyrs dans leur sang témoigne de la grandeur de leur statut et des sacrifices qu’ils ont consentis dans la guerre juste menée par l’Islam.

Deuxièmement, il ne devrait pas y avoir de linceul pour les martyrs, qui devraient être enterrés dans les vêtements mêmes dans lesquels ils ont été tués.

Troisièmement, aucune prière funèbre ne devrait être récitée sur leurs corps. Là encore, certains légistes expliquent cela par le précédent établi par le prophète Mohammed à la bataille d’Uḥud, tandis que d’autres invoquent des raisons théologiques liées au statut spécial des martyrs et à l’idée qu’ils sont vivants auprès de leur Dieu (Coran 3:169), que leurs péchés leur sont déjà pardonnés et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de dire une prière funèbre pour eux [9].

Ce statut de martyrs est célébré et commémoré dans les cultures musulmanes modernes, comme en témoignent les images de martyrs suspendues dans les rues d’Iran, d’Égypte, du Liban et de Syrie et la pratique, en usage dans de nombreux pays musulmans, consistant à donner à des écoles, des rues, etc.

En raison de la place prédominante occupée par les martyrs dans le droit islamique et dans les cultures et les traditions musulmanes, il est important que ceux qui prennent en charge les corps de musulmans considérés comme des martyrs soient informés de ces trois règles spéciales (ainsi que toute autre règle applicable). Dans tous les cas, ces décisions sont laissées à la famille du défunt.

Village de Shark. Tombes d'Ouzbeks victimes des récentes violences. Shark village. Fresh graves of Uzbek victims of the recent violence

Outre les règles détaillées relatives aux martyrs, le droit islamique contient aussi des règles relatives à l’inhumation des musulmans et des ennemis non-musulmans. Il existe en particulier un devoir d’inhumer les corps des personnes qui appartenaient à la partie adverse.  Si, pour une raison quelconque, l’adversaire n’enterre pas ses morts, c’est alors aux musulmans de le faire. Le juriste andalou Ibn Ḥazm (mort en 1064), de l’école zâhirite, aujourd’hui disparue, justifie cette obligation en expliquant que, si les musulmans n’enterrent pas les corps de leurs ennemis, ces corps se décomposeront ou seront dévorés par des bêtes sauvages ou des oiseaux, ce qui équivaut à une mutilation, prohibée par le droit islamique [10].

L’obligation d’enterrer les morts de l’ennemi au cas où celui-ci ne les enterrerait pas, vise à protéger la dignité humaine des morts. Bien que cela ne soit pas mentionné dans les ouvrages classiques de droit islamique, cette protection contribue également à respecter la sensibilité des familles des combattants de la partie adverse. De plus, certains juristes ont aussi justifié cette obligation par l’intérêt public (maṣlaḥah) des cultures musulmanes, indiquant que le fait d’enterrer les morts de l’ennemi préservait les passants – autrement dit, la salubrité publique [11].Nonobstant cet argument, il convient de relever que, selon une idée reçue très répandue, les cadavres propagent des maladies et présentent donc des risques pour la santé publique, ce qui est faux excepté dans le cas d’épidémies de maladies infectieuses comme Ebola.

Délai à respecter pour l’inhumation

Le principe du respect des morts se manifeste sous des formes différentes selon les cultures et les périodes. Dans le droit islamique et les cultures musulmanes, c’est en les enterrant sans tarder que l’on manifeste son respect des morts. À la différence de certaines cultures, le droit islamique interdit la crémation, dans laquelle il voit une violation de la dignité du corps humain.

Si l’on se fonde sur des propos attribués au prophète Mohammed, il est préférable, ou mustaḥab, d’enterrer rapidement les morts– autrement dit, ce n’est pas obligatoire, farḍ/wājib. Cependant ces témoignages n’indiquent pas précisément dans quel délai l’enterrement devrait avoir lieu. Dans le cas d’une personne qui a été poignardée (al-maṭ‘ūn), qui est hémiplégique (al-maflūj) ou dans le coma (al-masbūt), certains juristes jugent préférable d’attendre un jour et une nuit (yaūm wa laylah) pour avoir la confirmation de la mort [12] .S’il est conseillé d’attendre dans ces trois cas, c’est qu’il est possible que l’individu en question soit encore en vie. Il peut être dans le coma ; c’est pourquoi les juristes préfèrent que l’enterrement soit reporté tant que le décès n‘a pas été confirmé.

L’enterrement peut aussi être reporté si l’on soupçonne que la cause du décès est d’origine criminelle, l’enterrement doit être repoussé tant que le corps n’aura pas été examiné. Quelques juristes ont ajouté l’attente de l’arrivée de membres de la famille aux raisons justifiant le report de l’inhumation, mais sous réserve que le délai d’attente ne soit pas long au point que le corps commence à se décomposer [13].

Ces débats sur le délai restent inchangés si le corps n’est pas réclamé ni identifié : la même logique de respect du corps humain prévaut. Le souci humanitaire du respect des morts incitera les musulmans à enterrer sans tarder les corps non réclamés ni identifiés.

À côté de ces délibérations de juristes sur le droit islamique, d’autres facteurs jouent un rôle important pour expliquer pourquoi, dans les cultures musulmanes comme dans d’autres cultures, il existe une tendance à enterrer sans tarder les morts. Premièrement, les proches et les voisins veulent éviter que le corps ne commence à sentir, surtout sous les climats chauds, dans les pays où il n’y a pas assez de chambres froides pour maintenir les corps à basse température ou dans les régions où les coupures de courant sont fréquentes et se produisent sans préavis, sans parler des villages et des lieux reculés dans le désert qui n’ont pas l’électricité. Deuxièmement, les parents éloignés et les voisins veulent éviter, en enterrant le corps, de prolonger la souffrance des proches du défunt, et leur épargner la crainte et la douleur de sentir ce corps se décomposer. L’enterrement rapide dans ces situations est motivé par le désir de respecter les morts.

Quel qu’en soit le motif, dans certains cas, l’enterrement rapide empêche les spécialistes forensiques de faire leur travail. Ces derniers ont besoin de disposer de délais suffisants pour déterminer l’identité des dépouilles mortelles, en particulier lors de conflits armés, d’autres situations de violence ou de catastrophes naturelles. Pour que les spécialistes forensiques aient le temps de s’acquitter de leur tâche, il est donc nécessaire non seulement de fournir des chambres froides pour préserver les corps mais aussi d’amener les responsables communautaires, les chefs religieux et les autorités locales à convaincre le public et les familles qu’il est important de donner aux spécialistes forensiques le temps d’examiner les corps si l’on veut en établir l’identité. Sinon, les familles des morts risquent de souffrir toute leur vie de ne pas savoir où leurs proches sont enterrés et de ne pas pouvoir se rendre sur leurs tombes.

Exhumation des restes humains

En principe, selon le droit islamique, il est interdit d’exhumer les tombes. Toutefois, il existe un certain nombre d’exceptions et des points de vue différents sur la question. C’est pourquoi les juristes musulmans classiques sont d’accord pour interdire l’exhumation lorsqu’il n’y a pas nécessité. Les juristes ont toutefois délibéré des cas, manifestement hypothétiques pour certains, dans lesquels il serait possible d’exhumer des corps :

1) À des fins religieuses (ce que l’on appelle dans le langage courant, « les droits de Dieu »),[14]

2) Dans les affaires de responsabilité civile (les droits des humains),[15] et même

3) Pour des raisons d’intérêt public [16].

Les juristes ont rendu des jugements divers sur cette question. En conséquence, l’exhumation des restes humains est autorisée dans certains cas, on l’a vu, et interdite dans d’autres. D’une part, l’interdiction dans certains de ces cas repose uniquement ou principalement sur ce qui constitue, aux yeux des docteurs de la loi, un manque de respect pour la dignité humaine. De l’autre, la licéité repose dans certains cas sur ce qu’est, selon les juristes, l’intérêt public. Cela explique la diversité des jugements rendus et la variété des pratiques adoptées en conséquence dans les sociétés musulmanes. Sur ce point, il est important que les spécialistes forensiques retiennent que sous certaines conditions, il peut y avoir des motifs légitimes d’exhumation. Les spécialistes forensiques doivent garder cela à l’esprit s’ils sont confrontés à un refus d’exhumer les corps dans des pays musulmans.

L’immersion en mer

Il est intéressant de savoir que les juristes musulmans classiques ont délibéré sur la question de l’immersion en mer dès les dix-septième et dix-huitième siècles. C’est la nécessité d’assurer une sépulture décente aux personnes décédées à bord d’un navire en mer qui semble avoir été à l’origine de leurs discussions.

Dans cette situation, les docteurs de la loi de la période classique ont envisagé trois cas de figure :

  • Premièrement, le corps peut attendre l’arrivée à terre sans donner des signes de décomposition : dans ce cas, l’enterrement est reporté et le corps inhumé comme à l’ordinaire dans une tombe [17].
  • Deuxièmement, le corps ne peut pas attendre l’arrivée à terre sans donner des signes de décomposition : on l’attache alors à des morceaux de bois et on le met à l’eau où il flottera ; les vagues le porteront jusqu’au rivage le plus proche et, comme ce lieu est peuplé de musulmans, ceux-ci respecteront le corps et lui donneront une sépulture honorable.
  • Troisièmement, le corps risque d’être recueilli sur le rivage le plus proche par des ennemis qui pourraient le profaner : il sera alors arrimé à un objet lourd et mis à l’eau [18].
    En tous cas, que le corps soit immergé ou non, le rituel funéraire islamique doit être observé conformément aux règles énoncées plus haut.

    Conclusion

    L’analyse ci-dessus montre que donner une sépulture honorable aux morts apparaît comme étant le principal critère à retenir. Le cadre juridique islamique de l’époque classique présenté dans cet article a été élaboré au dix-septième et au dix-huitième siècles, pour répondre aux défis de l’époque. Pourtant, aujourd’hui encore, celui-ci fournit des orientations sur lesquelles s’appuient les juristes musulmans contemporains pour la prise en charge des dépouilles mortelles.

    Sous l’angle du droit islamique, il est nécessaire que les spécialistes forensiques travaillant dans des sociétés musulmanes contemporaines garde cet élément à l’esprit, pour garantir le respect les morts. Afin de prendre des décisions éclairées et pour dialoguer de manière plus efficace, nous recommandons aux spécialistes forensiques de se familiariser avec la réglementation islamique relative au traitement des morts et avec les pratiques culturelles de ces sociétés pour savoir dans quelle mesure elles correspondent à ce que dit le droit islamique. Certaines pratiques culturelles, telles que l’enterrement rapide ou le refus d’exhumer les morts, peuvent faire obstacle à leur travail. Dans de telles situations, il leur faudra dialoguer avec les institutions islamiques, les érudits et les responsables communautaires pour lever ces obstacles.

    Il ne fait aucun doute que l’expertise forensique spécialisée que des institutions comme le CICR ont acquises sont indispensables pour qui veut assurer la protection des corps dans les conflits armés contemporains se déroulant dans des pays musulmans. Cependant, la coopération entre les spécialistes forensiques humanitaires et les juristes islamiques est cruciale pour répondre à ces difficultés et assurer une gestion des morts digne et appropriée dans des pays musulmans. Il n’est jamais trop tard pour tirer les leçons de ce que le corbeau nous a enseigné !

    Cet article a été initialement publié en anglais le 1er novembre 2018

    ***

    Le Dr Ahmed Al-Dawoody est conseiller juridique du CICR pour le droit et la jurisprudence islamiques et professeur invité à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève, en Suisse. Né en Égypte, il était, avant d’entrer au CICR, professeur assistant en études et droit islamiques à l’université Al-Azhar, au Caire. Il a été sous-directeur des études supérieures à l’Institute for Islamic World Studies et coordinateur du programme de maîtrise en études islamiques contemporaines à l’université Zayed de Dubaï, aux Émirats arabes unis. Il a enseigné en Égypte, aux États-Unis, au Royaume-Uni, dans les Émirats et en Suisse. Il a contribué à la rédaction de nombreux ouvrages sur le droit islamique et il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’articles, ainsi que de l’ouvrage The Islamic Law of War: Justifications and Regulations (Palgrave Macmillan, 2011).

    ***

    Notes de bas de page

    [1] Voir, par exemple, Dignity in death: Remembrance and the voice of the dead, Oran Finegan, novembre 2017.

    <[2] Il convient de noter que dans la tradition juridique islamique, les discussions des juristes musulmans ont une grande influence sur l’interprétation du droit. Il ne s’agit pas simplement de débats, mais plutôt de délibérations, d’argumentaires juridiques, de jugements rendus ou de manuels juridiques islamiques que l’on doit prendre en compte en interprétant le droit islamique. Ces règles islamiques de l’époque classique sont aujourd’hui encore les sources du droit islamique sur lesquelles s’appuient les juristes musulmans et qui constituent la référence. Concernant les principes fondamentaux réglementant l’usage de la force dans le droit de la guerre islamique, voir IHL and Islam :An overview, Ahmed Al-Dawoody, mars 2017.

    [3] Voir http://www.alukah.net/sharia/0/87094/ ; http://www.alukah.net/sharia/0/87231/.

    [4] Muḥammad ibn Isḥāq, Al-Sīrah al-Nabawiyyah, ‘Abd al-Malik ibn Hishām (dir), annoté par Fu’ād ibn ‘Alī Hḥāfiẓ, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyyah, 2004, vol. 2, pp. 354-356.

    [5] La littérature historique islamique ancienne a montré que c’était les femmes qui, sur le champ de bataille, assuraient, entre autres, les fonctions humanitaires que fournissent le personnel de santé soignant et les sociétés de secours dans les conflits armés contemporains. Nonobstant la présence – relevée dans de nombreuses archives – de femmes combattantes sur le champ de bataille, le rôle des femmes consistait alors principalement à soigner les blessés et les malades, à préparer les repas. Voir, par exemple, ḥadīth n° 1812 in ibn al-Ḥajjāj al-Qushayrī, Ṣaḥīḥ Muslim, Muḥammad Fū’ād ʻAbd al-Bāqī (dir), vol. 3, Beyrouth, Dār Iḥyā’ al-Turāth al-ʻArabī, n.d., p. 1447 ; ḥadīth n° 1065 in A. ibn Ḥanbal, op. cit. note 3, vol. 5, p. 84 ; ḥadīth n° 33650 in ʻAbd Allah ibn Muḥammad ibn Abī Shaybah, Al-Kitāb al-Muṣannaf fī al-Aḥādīth wa al-Āthār, Kamāl Yūsuf al-Ḥūt (dir), Riyadh: Maktabah al-Rushd, 1988), vol. 6, p. 537 ; Wahbah al-Zuḥaylī,Mawsūʻah al-Fiqh al-Islāmī wa al-Qaḍāyā al-Muʻāṣirah, Damas, Dār al-Fikr, 2010, vol. 7, p. 437.

    [6] Voir, par exemple, ibn Isḥāq, Al-Sīrah al-Nabawiyyah, vol. 1, pp. 343 et suiv. ; al-Zuḥaylī, Mawsūʻah al-Fiqh al-Islāmī wa al-Qaḍāyā al-Muʻāṣirah, vol. 7, p. 448

    [7] Voir la fatwā n° 4263 délivrée par l’actuel grand mufti d’Egypte le 24 janvier 2018, disponible sur : http://www.dar-alifta.gov.eg/ar/ViewFatwa.aspx?ID=14229&LangID=1

    [8]‘Abd al-Raḥman ibn Gharmān ibn ‘Abd Allah al-Karimī Al-‘Umarī, Aḥkām al-Shahīd fī al-Fiqh al-Islāmī, Al-Ṭā’if: Maktabah Dār al-Bayān al-Ḥadīthah, 2001, pp. 248-251.

    [9] Aḥmad ibn Muḥammad ibn Salāmah al-Ṭaḥāwī, Tawḍīḥ ba‘ḍ al-Muṣṭalaḥāt al-‘Ilmiyyah fī Sharḥ al-‘Aqīdah al-Ṭaḥāwiyyah: Wa ma‘ah al-As’ilah wa al-Ajwibah al-Murḍiyah ‘alā Sharḥ al-Ṭaḥāwiyyah, Muḥammad ibn ‘Abd al-Raḥman al-Khamīs (dir), Koweit, Dār Ilāf, 1999, p. 214. Voir Asma Afsaruddin, Striving in the Path of God: Jihād and Martyrdom in Islamic Thought New York, Oxford University Press, 2013, pp. 102-105.

    [10] ʻAlī ibn Aḥmad ibn Saʻīd ibn Ḥazm, Al-Muhallā, Committee of the Revival of Arabic Heritage (dir), Beyrouth, Dār al-Āfāq al-Jadīdah, n.d., vol. 5, p. 117.

    [11] Voir al-Zuḥaylī, Mawsūʻah al-Fiqh al-Islāmī wa al-Qaḍāyā al-Muʻāṣirah, vol. 7, p. 445 ; ‘Abd Allah ibn ‘Umar ibn Muhammed ibn al-Saḥaybānī, Aḥkām al-Maqābir fī al-Sharī‘ah, Dammam, Dār ibn al-Jawzī, 2005, p. 233.

    [12] Voir Aḥmad ibn ʻAlī ibn Ḥajar al-ʻAsqalānī, Fatḥ al-Bārī Sharhḥ Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, Muḥib al-Dīn al-Khaṭīb (dir), Beyrouth, Dār al-Maʻrifah, n.d., vol. 3, p. 184 ; Muḥammad ‘Abd al-Rahman ibn ‘Abd al-Rahīm al-Mubarkāfūrī, Tuḥfah al-Aḥwadhī bi-Sharḥ Jāmiʻal-Tirmidhī, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyyah, n.d., vol. 4, p. 82.

    [13] Voir ‘Abd al-Ra’ūūf al-Mināwī, Fayḍ al-Qadīr Sharḥ al-Jāmi‘al-Ṣaghīr, Le Caire, Al-Maktabah al-Tujāriyyah al-Kubrā, 1937, vol. 3, p. 310.

    [14] Voir, par exemple, Muḥammad al-Ghazālī, Al-Waṣīṭ fī al-Madhhab, Aḥmad Maḥmūd Ibrāhīm et Muḥammad Muḥammad Tāmir (dir), Le Caire, Dār al-Salām, 1997, vol. 2, p. 390 ; Muḥammad ibn Muḥammad ibn Aḥmad ibn al-Ikhwah, M‘ālim al-Qurbah fī Ṭalab al-Ḥisbah, (dir), Muḥammad Maḥmūd Sha‘bān and Ṣiddīq Aḥmad ‘Isā al-Muṭī‘ī, Le Caire, Al-Hay’ah al-‘Āmmah lil-Kitāb, p. 106, Ḥasan ibn ‘Ammār Shurunbulālī, Kitāb nūr al-Iḍāḥ wa Najāt al-Arwāḥ, Damas, Dār al-Ḥikmah, 1985, p. 98.

    [15] Voir, par exemple, al-Ghazālī, Al-Waṣīṭ, vol. 2, p. 390 ; Shurunbulālī, Kitāb nūr al-Iḍāḥ wa Najāt al-Arwāḥ, p. 98 ; Ibn al-Ikhwah,M‘ālim al-Qurbah, p. 106

    [16] Voir, par exemple, Ibn al-Saḥaybānī, Aḥkām al-Maqābir fī al-Sharī‘ah, pp. 492 et suiv.

    [17] Muḥammad al-‘Arabī al-Qarawī, Al-Khulāṣah al-Fiqhiyyah ‘alā Madhhab al-Sādah al-Mālikiyyah, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyyah, n.d., p. 157; Ibn al-Saḥaybānī, Aḥkām al-Maqābir fī al-Sharī‘ah, p. 43.

    [18] Ibn al-Saḥaybānī, Aḥkām al-Maqābir fī al-Sharī‘ah, pp. 43-45.

     

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