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Histoire des villes en guerre

Action humanitaire / Analysis / Droit et conflits / Histoire / Urban warfare 8 minutes de lecture

Histoire des villes en guerre

La tentative manquée d’attaque par surprise sur la ville de Genève, en Suisse, par les troupes de Charles Emmanuel I, Duc de Savoie le 12 décembre 1602 et qui prit le nom d’Escalade. Peinture de Karl Jauslin.

En tout temps, les villes ont été le théâtre de guerres. Si l’expression « combats en zone urbaine » renvoie davantage aux images récentes montrant des bâtiments éventrés ainsi que la souffrance des populations de Mossoul et de Mekele, les guerres en ville remontent à plusieurs millénaires.

Dans ce billet, qui s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles sur les combats en zone urbaine, l’historien au CICR, Daniel Palmieri, nous propose de parcourir les archives des villes en guerre.

On dit que la « première ville » a émergé au Moyen-Orient, il y a plusieurs millénaires. Baptisée Çatal Höyük, elle fut fondée il y a de cela huit ou neuf mille ans, sur le territoire de la Turquie contemporaine.

Ce n’est peut-être pas une pure coïncidence si l’on trouve, dans cette même région, les premiers récits écrits relatant des combats dans les villes. Si certains de ces récits relèvent de la mythologie, comme le récit de la prise de Troie après 10 années de conflit, glorifiée par Homère dans l’Iliade, on trouve bel et bien des récits historiques qui remontent au 15e siècle avant notre ère relatant les guerres qui se livraient en ville. Nous connaissons en détail le siège et la prise de la ville de Megiddo par l’armée égyptienne, qui luttait contre une grande coalition rebelle d’États cananéens vassaux menés par le Prince de Qadesh.

Une cible en pleine évolution

Les relations entre la guerre et la ville dans l’Antiquité ont pris des formes multiples que l’on retrouve pour nombre d’entre elles dans les affrontements urbains contemporains. Il pouvait arriver que les villes se livrent des batailles sanglantes, comme dans la Grèce antique, mais le plus souvent, les guerres d’invasion étaient menées contre les villes non pas pour les détruire, mais pour les conquérir. Une fois que le système urbain a été bien établi, la ville est rapidement devenue un objet de convoitise, un centre de pouvoir et de richesse. Pour conquérir les villes, les assaillants ont dû mettre au point de nouvelles technologies militaires et une technique spécifique pour assiéger une ville ou une forteresse a été créée : l’art poliorcétique. Le tout premier traité portant sur cette nouvelle méthode de combat nous vient de Grèce, au 4e siècle avant notre ère.

Menacées, les villes se sont préparées pour résister à un siège et se sont fortifiées, grâce à un système d’épaisses murailles qui s’est élargi et s’est perfectionné jusqu’au 18e siècle, sous l’impulsion d’architectes et d’ingénieurs militaires, notamment le célèbre Marquis de Vauban (1633-1707 ap. JC). La ville devient une enceinte militaire où les populations peuvent trouver refuge temporairement en cas de guerre.

Toutefois, avec le développement d’une artillerie puissante et de longue portée, les fortifications deviennent de plus en plus inutiles pour assurer la défense des villes et, au 19e siècle, l’on assiste à une démarche inverse, les villes commençant à se débarrasser de leur carcan défensif. Ce fut, par exemple, le cas de Genève qui, en 1849, commença à démanteler l’enceinte de fortifications bâties autour du centre de la ville depuis le 14e siècle.

Les villes ont ainsi commencé à recouvrir une dimension purement civile, se développant au gré d’un afflux de populations rurales ou d’émigrants attirés par les opportunités industrielles et artisanales désormais concentrées dans les centres urbains. Cette tendance a débuté au 19è siècle, s’est accélérée au 20è siècle et se poursuit aujourd’hui.

Toutefois, en tant que lieu stratégique du pouvoir politique et économique et en tant que zones densément peuplées, les villes restent la cible des belligérants ; seuls les moyens employés pour les anéantir ont évolué au cours des millénaires. Si en 146 après notre ère, les Romains détruisirent Carthage en l’incendiant, Guernica, Coventry ou Dresde furent victimes, des siècles plus tard, de nouvelles méthodes de combat, les bombardements aériens, tandis qu’Hiroshima et Nagasaki subissaient les effets dévastateurs des armes nucléaires qui y furent larguées.

La guerre au sein des villes

Parallèlement à la guerre livrée contre les villes, nous pouvons aussi analyser la guerre qui se livre en leur sein, illustrées par les grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale, comme à Nankin, Stalingrad ou Berlin – des villes où la progression des forces armées se fit quasiment maison par maison, tant pour leur prise que pour leur reprise – mais on peut citer aussi les violences au Nicaragua, en ex-Yougoslavie, dans le Caucase et celle qui sévit toujours au Moyen-Orient.

À la fois dangereuse et attractive, la ville entrave les belligérants non seulement en termes d’avance stratégique, mais aussi parce qu’elles affectent leur psychisme, dès lors que la ville est souvent un lieu où « l’altérité » se manifeste plus fortement et plus librement. Cela peut en partie expliquer le comportement adopté par certains belligérants envers une ville une fois conquise ; ils la pillent, la détruisent, la rasent entièrement pour éradiquer toute trace matérielle, culturelle et religieuse de la présence de l’ennemi, de « l’autre ». En ce qui concerne ses habitants, lorsqu’ils ne sont pas tués ou capturés, ils sont chassés de chez eux ou ils sont contraints de fuir, ce qui contribue donc au total anéantissement de la ville et parfois même de sa mémoire. L’Ancien Testament (Livre des Juges) rappelle que le roi Abimelech ne se contenta pas de prendre la cité de Sichem et de tuer ses habitants, mais l’a rasa entièrement et versa du sel sur le sol pour réduire à néant toute chance que la ville renaisse.

En dépit des attaques qu’elles subissent, les villes refusent de se rendre, survivent à des sièges militaires et à des combats urbains. Une photographie célèbre de la librairie de Holland Park à Londres, prise en 1940, immortalise des lecteurs parcourant les livres, alors que le bâtiment dans lequel ils se trouvent a été en grande partie détruit par les bombardements allemands. Dans son Journal – Léningrad 1941-1942, Léna Moukhina (1924-1991) raconte la vie quotidienne dans sa ville assiégée lors du  blocus qui dura 900 jours. Certains d’entre nous peuvent aussi se remémorer l’élection, en 1993, d’Inela Nogić comme « Miss Sarajevo assiégé », dans les heures les plus sombres que la ville ait connu.

Cependant, au-delà de ces éclats de résistance, les guerres en ville sont plutôt synonymes de mort. Les images de corps jonchant les rues de Léningrad en proie à la famine ou les pertes civiles pendant le siège de Nuremberg en 1632, au cours duquel la moitié de la population a péri, nous rappelle que la « normalité » de la ville ne peut s’épanouir qu’en temps de paix et que la survie d’une ville engluée dans la guerre dépend avant tout de la résilience de ceux qui y vivent.

Ces guerres livrées contre des villes et en leur sein constituent l’un des principaux défis contemporains pour l’action humanitaire. La concentration de populations, de services essentiels, des systèmes de télécommunication ou de réseaux d’électricité, d’établissements de santé ou de biens appartenant au patrimoine culturel, montre que les villes sont au cœur de nombreuses questions ayant trait au respect du droit international humanitaire. En tirant les leçons du passé mais aussi en anticipant les futures évolutions, l’action humanitaire doit s’adapter au caractère versatile et complexe des combats en zone urbaine, en prenant en compte non seulement les individus, mais aussi les communautés et leur approvisionnement, les soins de santé et l’organisation sociale dans la ville dont elles dépendent directement.

La version originale de cet article a été publiée en anglais le 29 avril 2021.

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