“Je suis nouveau ici, vous pouvez voir que je suis nouveau”, c’est ce que répond un jeune yéménite, se réchauffant les mains devant un feu de bois, lorsqu’on lui demande quand est-ce qu’il est arrivé à Calais. Il a raison, ça se voit. Il n’est pas encore marqué par le temps passé ici.

Pour conserver l’anonymat, les prénoms des personnes exilées* ont été changés.

Tous sont là dans l’espoir de passer la frontière vers le Royaume-Uni par la mer ou par la route, loin de la misère des campements des Hauts-de-France. Certains les subissent depuis des mois. Malgré la grande précarité, les exilés offrent du café, du thé, de la nourriture ou un bout de bois pour s’asseoir aux bénévoles de la Croix-Rouge qui passent en maraude dans les campements pour maintenir le lien fragile que certains ont encore avec leur famille.

Trois jours par semaine, le Dispositif Mobile de Soutien aux Exilé-es de la Croix-Rouge se rend en maraude dans les campements aux alentours de Calais, Grand-Synthe et plus généralement ceux du littoral des Hauts-de-France. En plus d’une infirmerie mobile et d’un espace d’accueil-écoute-orientation, le dispositif propose un accès wifi, un service de rechargement mobile et cinq lignes téléphoniques internationales pour que les exilés appellent leur famille. Certains accourent vers les bénévoles pour être les premiers sur la liste d’attente. Quand on leur demande depuis combien de temps ils n’ont pas pu donner signe de vie à leur famille, certains répondent “Since Libya” – “Depuis la Libye”.

“La famille va bien”

Après s’être inscrits sur une liste d’attente, les exilés ont droit à 5 minutes d’appel avec un téléphone placé dans un sachet en plastique et désinfecté entre chaque personne.

L’un des derniers sur la liste, Birhan insiste timidement. Il demande avec le peu d’anglais qu’il maîtrise : combien de personnes vont appeler avant lui ? Mélange d’impatience et de frustration,  Birhan patiente, les yeux fixés sur le téléphone qui lui permettra dans une heure d’appeler ses proches. Ses amis expliquent qu’il n’a pas pu joindre sa famille depuis 6 mois. Quand vient enfin son tour, il dépasse légèrement les 5 minutes réglementaires d’appel et rend avec sourire le téléphone pour le laisser au suivant. En trois jours d’interventions dans différents campements, environ 170 appels sont réalisés, 115 d’entre eux aboutissent.

Yakub, bien plus âgé que la moyenne, demande de l’aide pour composer le numéro. Il a du mal à lire malgré ses lunettes en demi-lune. Il a plusieurs personnes à appeler en 5 minutes et se met à l’écart lorsque l’une d’entre elles finit par décrocher. La vie privée n’est pas chose facile ici.

Birhan et Yakub appellent leurs proches.

Un embouteillage de camions se forme sur la rocade en face. À toute vitesse, le lieu se vide d’une centaine de personnes. Aux yeux des exilés, c’est une chance de pouvoir passer la frontière en se cachant à l’arrière d’une remorque. Avant de partir, on rend à la hâte les téléphones à la Croix-Rouge. Yakub, comme quelques dizaines de personnes, ne semble pas intéressé, il tentera sa chance un autre jour. Le site vidé, il a plus de temps pour passer ses appels.

Le site se vide lors du début d’un embouteillage, une opportunité de passer la frontière aux yeux des exilés.

Même à Calais où la misère humaine est si forte, les appels se finissent souvent avec le sourire. À contre-coeur, les bénévoles insistent pour y mettre fin. On remercie l’équipe, la famille va bien. Certains sont frustrés d’avoir attendu si longtemps pour si peu. Ils apprennent parfois le décès d’un proche et n’ont pas le temps de parler à tous ceux qu’ils auraient voulu, après plusieurs mois de silence radio.

“Je garde les numéros en lieu sûr, dans ma tête”

Un morceau de papier en lambeaux dans les mains, un exilé tente de déchiffrer un numéro dont l’encre a coulé. Ce numéro est le dernier lien qui le rattache à sa famille. S’il le perd ou l’oublie, il n’est pas sûr de pouvoir un jour leur reparler.

Tous n’en ont pas conscience. Les bénévoles insistent : il faut être prudent, écrire et sauvegarder les numéros des proches et identifiants web sur plusieurs supports, garder ses affaires avec soi, se donner un lieu de rendez-vous en cas de séparation. Le lien est ténu : un portable perdu, cassé, des affaires confisquées, un trou de mémoire, et c’est la perte définitive d’un moyen de contacter sa famille.

Un exilé écrit sur un dépliant de la Croix-Rouge les numéros de ses proches pour les conserver en sécurité dans une pochette en plastique

Prévenir la rupture, rétablir le lien.

Quand un appel ne fonctionne pas, le premier réflexe est souvent de rendre le téléphone et de s’excuser. L’équipe ne baisse pas les bras et encourage la personne à ré-essayer, tout en cherchant à en savoir plus. Le numéro fonctionnait-il la dernière fois ? Est-ce que l’appel sonne avant d’être décliné ? Le réseau est perturbé dans certains pays ou régions instables. Le proche peut refuser un appel suspect provenant de l’étranger. On imagine les différents scénarii possibles, les solutions adaptées.

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge aide chaque année des milliers de personnes à retrouver la trace de leurs proches. Il faut avant tout gagner la confiance d’une personne, qu’elle raconte son histoire, qu’elle donne les informations qui sont tout ce qui lui reste de sa famille, et qui pourraient la mettre en danger.

Maxime Rouguillem, le responsable terrain, est connu dans la plupart des camps. On le salue et le remercie dès son arrivée. Ceux qui lui font confiance s’en portent garants à d’autres qui sont sans nouvelles de leur famille. Il parle d’une voix douce et patiente en écoutant ce qu’on lui raconte. Ils mettent entre ses mains la possibilité de reparler un jour à leur famille.

Maxime Rouguillem, responsable terrain du Rétablissement des Liens Familiaux du Dispositif Mobile de Soutien aux Exilé-e-s, s’entretient avec des personnes exilées.

On parle foot, météo, de la vie de tous les jours, on oriente vers d’autres associations, avec patience on prend le temps d’écouter ce que chaque personne a à dire pour arriver, peut-être, à parler du sujet qui importe ici. Maxime rencontre parfois pendant plusieurs mois un exilé avant que celui-ci ouvre une demande de recherche. Créer une relation de confiance avec les communautés est primordiale pour qu’un de ses membres accepte de mettre entre les mains de la Croix-Rouge ce qui lui est le plus précieux.

Confiance et patience

“Ce n’est pas grave, s’il n’ouvre pas une demande de recherche aujourd’hui. S’il est prêt dans une semaine, 6 mois ou deux ans, ici, au Royaume-Uni, ou ailleurs, il sait où trouver la Croix-Rouge et qu’elle peut l’aider à retrouver ses proches.” explique Maxime.

Les exilés manquent de tout pour survivre dans la dignité : du bois pour se chauffer, de la nourriture, un accès décent aux soins, des tentes et duvets qui ne prennent pas l’eau, même un moyen de pouvoir rassurer leur famille. Ils restent pourtant dignes, rassurent leur famille : tout va bien, la vie est dure mais ça ne durera pas, on rit plus qu’on pleure au téléphone.

Au départ des bénévoles, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir au même endroit parfois durant plusieurs semaines, le temps de visiter les autres campements de la région. C’est la mission que la Croix-Rouge s’est confiée : maintenir le lien avec les proches, prévenir sa rupture, le rétablir s’il est brisé.

* Le Dispositif de Soutien Mobile aux Exilé-e-s de la Croix-Rouge française préfère le terme exilé aux termes migrant et réfugié.


Qu’est-ce que le Dispositif de Soutien Mobile aux Exilé-e-s ?

Depuis Février 2016, la Croix-Rouge Française intervient chaque semaine auprès des populations en situation d’exil présentes sur les campements des Hauts-de-France à travers le Dispositif Mobile de Soutien aux Exilé∙e∙s (DMSE).

Le DMSE a vocation à « aller-vers » les personnes exilées et se déploie sur les campements pour apporter son soutien aux personnes en errance à Calais, Grande-Synthe et sur les autres lieux de (sur)vie en leur assurant un accès aux premiers soins, à l’information et au Maintien et au Rétablissement des Liens Familiaux.

Pour les personnes intéressées pour faire du bénévolat sur le dispositif, la Croix-Rouge facilite le déplacement et l’hébergement dans ses locaux à proximité de Lille.

Plus d’information sur la page du DMSE

Mail de contact :
urgence-migrants.hdf@croix-rouge.fr